Mon cousin, gaillard de quarante ans, roux, très
fort et barbu, gentilhomme de campagne […] habi-
tait une sorte de ferme-château dans une vallée large
où coulait une rivière. Des bois couvraient les collines
de droite et de gauche, vieux bois seigneuriaux où res-
taient des arbres magnifiques et où l’on trouvait les
plus rares gibiers à plume de toute cette partie de la
France. On y tuait des aigles quelquefois ; et les
oiseaux de passage, ceux qui presque jamais ne vien-
nent en nos pays trop peuplés, s’arrêtaient presque
infailliblement dans ces branchages séculaires comme
s’ils eussent connu ou reconnu un petit coin de forêt
des anciens temps demeuré là pour leur servir d’abri
en leur courte étape nocturne.
Dans la vallée, c’étaient de grands herbages arrosés
par des rigoles et séparés par des haies ; puis, plus loin,
la rivière, canalisée jusque-là, s’épandait en un vaste
marais. Ce marais, la plus admirable région de chasse
que j’aie jamais vue, était tout le souci de mon cousin
qui l’entretenait comme un parc.
Guy de MAUPASSANT, « Amour », dans Contes et nouvelles..
fort et barbu, gentilhomme de campagne […] habi-
tait une sorte de ferme-château dans une vallée large
où coulait une rivière. Des bois couvraient les collines
de droite et de gauche, vieux bois seigneuriaux où res-
taient des arbres magnifiques et où l’on trouvait les
plus rares gibiers à plume de toute cette partie de la
France. On y tuait des aigles quelquefois ; et les
oiseaux de passage, ceux qui presque jamais ne vien-
nent en nos pays trop peuplés, s’arrêtaient presque
infailliblement dans ces branchages séculaires comme
s’ils eussent connu ou reconnu un petit coin de forêt
des anciens temps demeuré là pour leur servir d’abri
en leur courte étape nocturne.
Dans la vallée, c’étaient de grands herbages arrosés
par des rigoles et séparés par des haies ; puis, plus loin,
la rivière, canalisée jusque-là, s’épandait en un vaste
marais. Ce marais, la plus admirable région de chasse
que j’aie jamais vue, était tout le souci de mon cousin
qui l’entretenait comme un parc.
Guy de MAUPASSANT, « Amour », dans Contes et nouvelles..