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Un rapport apaisé à la langue française
le 14.12.12 | 10h00
«Butin de guerre», «idiome élitiste» ou «troisième langue nationale» ? Cinquante ans après l’indépendance, le statut de la langue française a épousé les grands bouleversements de la société algérienne.
Langue de conflit idéologique des années 1970-1980, le français n’est plus considéré «ni comme la langue du colonisateur ni comme une langue étrangère», selon l’écrivain de langue arabe, Bachir Mefti. «Le français fait partie intégrante de notre vie sociale quotidienne. Il se mélange parfaitement à l’arabe parlé, est présent partout, dans la rue et dans la bouche de nos officiels», ajoute l’un des jeunes auteurs arabophones algériens les plus lus du moment. En chiffres, l’enquête menée par le Centre national d’études et d’analyse pour la planification (CNEAP) démontre que, au niveau des enseignants, toutes disciplines confondues, la langue française recueille 53,33% des préférences par rapport à l’anglais qui n’en recueille que 40%.
Selon la même étude, les étudiants ont exprimé la même préférence avec l’indice de 85,22% contre 14,88%. Les résultats de la première enquête (CNEAP) montrent que «la langue française est de loin la mieux maîtrisée par les interrogés qui répondent qu’ils la maîtrisent très bien pour 44,21% d’entre eux et bien pour 28, 84% d’entre eux, ce qui représente en tous 73,05% des opinions sur les 1314 exprimées». Et d’après les chiffres de l’Organisation internationale de la francophonie, dont l’Algérie n’est que membre observateur, «le nombre de personnes, âgées de cinq ans et plus déclarant savoir lire et écrire le français, est de 11,2 millions, soit 33% (un tiers) des 34,4 millions d’Algériens» (chiffres de l’ONS en 2008).
Au-delà des chiffres, de la dynamique des médias ou de l’édition en français et de la présence de la langue dans l’enseignement et l’université, il reste que la langue française tient aussi sa place en Algérie du fait de sa propre mutation vers un statut moins marqué idéologiquement. «Il y a une dizaine d’années ou plus, mes étudiants hésitaient à se documenter en français, ils étaient encore dans cette vision de la “langue du colonialisme’’, note la linguiste Khaoula Taleb Ibrahimi de l’université d’Alger, mais ces dernières années, j’ai perçu un changement d’attitude. Parce que cette jeune génération est dans un rapport au monde, dont la France fait partie.». Aux yeux de la spécialiste «il y a une sorte de normalisation de ce rapport au français, nous ne sommes plus dans cette ambivalence, dans ce déchirement entre la langue du colon et la langue qui porte la modernité».
Depuis longtemps, les deux langues sont restées prisonnières de ce schéma. «L’arabe est ainsi “rétrograde’’, “réactionnaire’’, alors que le français reste “la langue de la modernité’’, regrette l’auteur Bachir Mefti. Mais le vrai problème qu’on essaie d’éviter, c’est qu’on n’a pas introduit la langue arabe dans la modernité, dans sa propre modernité.» Dans une récente étude sur la transition en Algérie, le sociologue Nacer Djabi souligne que «depuis au moins les années 1990, avec tout ce traumatisme qu’ont engendré les violences, le débat s’est rationalisé loin des joutes idéologiques.
Les bouleversements qu’a connus la société algérienne face à la mondialisation économique et aux enjeux de la distribution de la rente pétrolière depuis le début des années 2000 a déplacé les lignes de front.» Le statut officiel de «langue étrangère» reste une fiction vu l’étendue de ses champs sociaux en Algérie. Et même les quelques tentatives d’infuser la langue anglaise dans les premiers cycles de l’enseignement n’ont pas entamé sa prééminence. Il ne faut pas, conseille un spécialiste, appréhender cette question en termes de hiérarchie des langues : l’arabe et tamazight ont déjà leur propre place dans notre culture et notre quotidien, comme marqueur civilisationnel.
Or, «la vraie problématique aujourd’hui se résume à la reconnaissance enfin officielle du Maghreb comme carrefour multilinguistique. Les entités politiques maghrébines, depuis le Moyen-Âge, n’ont jamais été aussi stables et puissantes que lorsqu’elles ont accepté cette diversité, cette richesse entre l’arabe, le latin, l’hébreu, le tamazight et les langues du sud de l’Europe», assène un ancien membre de la commission de réforme de l’éducation.
Adlène Meddi
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