Dans un énorme fracas, elles s’effondrèrent.
A partir de ce jour-là, ma vie allait changer.
Pourtant, tout avait commencé comme d’habitude, c’était un jour de classe. Nous étions en cours de mathématiques lorsque les haut-parleurs ont grésillé, nous demandant de nous rendre dans la salle de réunion. Ravis de cette interruption, nous nous sommes élancés joyeusement en nous bousculant : c’était un vrai carnage, comme toute les fois où nous sortions en milieu de cours.
Dans la salle, tous les élèves riaient, discutaient, chahutaient.
Soudain une voix masculine s’est élevée, demandant aux élèves de s’asseoir en silence. Ce que nous fîmes. Enfin presque. Les rideaux se mirent en mouvement, laissant apparaître le proviseur de lycée.
Immédiatement, le silence se fit, Mr. B. ne venait que très rarement, et, chaque fois, c’était pour nous annoncer une mauvaise nouvelle. Il commença par un discours sur le racisme et l’antisémitisme ; et termina par un « je suis désolé » presque inaudible. Alors qu’il prononçait ces mots, une boule se forma dans ma gorge.
L’écran s’alluma, nous faisant tous sursauter, il montrait une journaliste, mais personne ne s’intéressait à elle ; nos yeux étaient rivés sur la scène en arrière-plan : une des deux tours jumelles qui faisaient la fierté de notre ville était en proie aux flammes. Comme beaucoup d’autres, je ne pus réprimer un cri d’effroi. Des milliers de gens travaillaient dans ce gratte-ciel !
J’étais toujours perdue dans mes pensées quand un élève cria. Je levai les yeux vers l’écran et je vis un autre avion percuter la seconde tour puis exploser. Nous étions tous médusés, horrifiés serait plus adapté, certains même pleuraient. La journaliste disparut. Nous laissant voir toute l’horreur de la situation. Et nous assistâmes, impuissants, à l’effondrement du World Trade Center…
Le projecteur s’éteignit et le principal reprit la parole pour nous annoncer que ce carnage avait eu lieu quelque vingt minutes plus tôt et que les cours étaient suspendus jusqu'à nouvel ordre. Habituellement, c’était une véritable ruée vers la sortie mais là, aucun mouvement ; nous étions encore sous le choc, abasourdis par la nouvelle.
Je fus la première à me lever. Je venais d’un pays où les attentats n’étaient pas rares, mais je me demandai, et je me le demande toujours, comment cela avait pu arriver en Amérique.
Un à un, les élèves me suivirent, dans le silence le plus complet. Beaucoup devaient avoir des proches travaillant dans ces immeubles, et je sais, pour l’avoir vécu, que l’inquiétude devait les ronger. Et pourtant, il allait falloir qu’ils prennent leur mal en patience car le bilan humain ne serait pas établi avant plusieurs heures, voire plusieurs jours.
Pour ma part, je n’avais pas à m’inquiéter du bien-être de ma famille : ma mère et mes demi-frères ne travaillaient pas dans ce quartier; quant à mon père, il était resté à Riyad, peut-être était-il ailleurs, je ne sais pas, car nous n’avions plus aucune nouvelle de lui depuis plusieurs années.
Tout le monde rentra chez soi, espérant en savoir plus rapidement.
Et quelques jours plus tard, la nouvelle tomba : Al-Qaïda, ou plus précisément Oussama Ben Laden, était responsable de ce massacre…
A partir de ce moment-là, ma vie est devenue un enfer, les élèves m’ont rejetée, mes amis m’ont abandonnée. Personne n’était à l’aise en ma présence, les discussions cessaient à mon approche, les professeurs évitaient de me parler, personne ne s’asseyait à ma table en classe ou au réfectoire, jamais je n’étais invitée aux fêtes organisées par les autres élèves : j’étais exclue de la vie du lycée.
Aujourd’hui, j’ai été agressée, ils étaient trois, c’était horrible, j’en ai la nausée rien que d’y penser. Ils m’ont tabassée, humiliée, violée, battue. Et lorsqu’ils ont eu fini, l’un d’eux m’a jeté un regard haineux suivi d’un « terroriste! » avant de me donner un ultime coup de pied dans le ventre.
Et ils m’ont laissée là, dans la ruelle ; j’y suis restée une éternité sans bouger, à pleurer.
Grelottant de peur, de froid et d’épuisement, je me suis enfin décidée à rentrer. J’avais cette impression horrible d’être sale. Je me suis glissée sous la douche et j’ai laissé l’eau brûlante couler sur ma tête et ruisseler sur mon corps. Malgré ça, cette terrible impression d’être sale ne me quittait pas.
C’est là que j’ai pris ma décision. Je ne voulais pas revivre cela, la constante impression d’être de trop, l’humiliation. Je suis sortie de la douche, et, dans un état second, j’ai ouvert le robinet de la baignoire, ouvert l’armoire à pharmacie et pris n’importe quelle boîte qui m'est tombée sous la main, puis j’ai fermé la porte de la salle de bain à clé. J’ai avalé la totalité des comprimés et je me suis allongée dans la baignoire jusqu'à ce que l’eau recouvre entièrement mon corps...
Yasmina Ben Laden
http://coursdefrançais.net/11sept.html
A partir de ce jour-là, ma vie allait changer.
Pourtant, tout avait commencé comme d’habitude, c’était un jour de classe. Nous étions en cours de mathématiques lorsque les haut-parleurs ont grésillé, nous demandant de nous rendre dans la salle de réunion. Ravis de cette interruption, nous nous sommes élancés joyeusement en nous bousculant : c’était un vrai carnage, comme toute les fois où nous sortions en milieu de cours.
Dans la salle, tous les élèves riaient, discutaient, chahutaient.
Soudain une voix masculine s’est élevée, demandant aux élèves de s’asseoir en silence. Ce que nous fîmes. Enfin presque. Les rideaux se mirent en mouvement, laissant apparaître le proviseur de lycée.
Immédiatement, le silence se fit, Mr. B. ne venait que très rarement, et, chaque fois, c’était pour nous annoncer une mauvaise nouvelle. Il commença par un discours sur le racisme et l’antisémitisme ; et termina par un « je suis désolé » presque inaudible. Alors qu’il prononçait ces mots, une boule se forma dans ma gorge.
L’écran s’alluma, nous faisant tous sursauter, il montrait une journaliste, mais personne ne s’intéressait à elle ; nos yeux étaient rivés sur la scène en arrière-plan : une des deux tours jumelles qui faisaient la fierté de notre ville était en proie aux flammes. Comme beaucoup d’autres, je ne pus réprimer un cri d’effroi. Des milliers de gens travaillaient dans ce gratte-ciel !
J’étais toujours perdue dans mes pensées quand un élève cria. Je levai les yeux vers l’écran et je vis un autre avion percuter la seconde tour puis exploser. Nous étions tous médusés, horrifiés serait plus adapté, certains même pleuraient. La journaliste disparut. Nous laissant voir toute l’horreur de la situation. Et nous assistâmes, impuissants, à l’effondrement du World Trade Center…
Le projecteur s’éteignit et le principal reprit la parole pour nous annoncer que ce carnage avait eu lieu quelque vingt minutes plus tôt et que les cours étaient suspendus jusqu'à nouvel ordre. Habituellement, c’était une véritable ruée vers la sortie mais là, aucun mouvement ; nous étions encore sous le choc, abasourdis par la nouvelle.
Je fus la première à me lever. Je venais d’un pays où les attentats n’étaient pas rares, mais je me demandai, et je me le demande toujours, comment cela avait pu arriver en Amérique.
Un à un, les élèves me suivirent, dans le silence le plus complet. Beaucoup devaient avoir des proches travaillant dans ces immeubles, et je sais, pour l’avoir vécu, que l’inquiétude devait les ronger. Et pourtant, il allait falloir qu’ils prennent leur mal en patience car le bilan humain ne serait pas établi avant plusieurs heures, voire plusieurs jours.
Pour ma part, je n’avais pas à m’inquiéter du bien-être de ma famille : ma mère et mes demi-frères ne travaillaient pas dans ce quartier; quant à mon père, il était resté à Riyad, peut-être était-il ailleurs, je ne sais pas, car nous n’avions plus aucune nouvelle de lui depuis plusieurs années.
Tout le monde rentra chez soi, espérant en savoir plus rapidement.
Et quelques jours plus tard, la nouvelle tomba : Al-Qaïda, ou plus précisément Oussama Ben Laden, était responsable de ce massacre…
A partir de ce moment-là, ma vie est devenue un enfer, les élèves m’ont rejetée, mes amis m’ont abandonnée. Personne n’était à l’aise en ma présence, les discussions cessaient à mon approche, les professeurs évitaient de me parler, personne ne s’asseyait à ma table en classe ou au réfectoire, jamais je n’étais invitée aux fêtes organisées par les autres élèves : j’étais exclue de la vie du lycée.
Aujourd’hui, j’ai été agressée, ils étaient trois, c’était horrible, j’en ai la nausée rien que d’y penser. Ils m’ont tabassée, humiliée, violée, battue. Et lorsqu’ils ont eu fini, l’un d’eux m’a jeté un regard haineux suivi d’un « terroriste! » avant de me donner un ultime coup de pied dans le ventre.
Et ils m’ont laissée là, dans la ruelle ; j’y suis restée une éternité sans bouger, à pleurer.
Grelottant de peur, de froid et d’épuisement, je me suis enfin décidée à rentrer. J’avais cette impression horrible d’être sale. Je me suis glissée sous la douche et j’ai laissé l’eau brûlante couler sur ma tête et ruisseler sur mon corps. Malgré ça, cette terrible impression d’être sale ne me quittait pas.
C’est là que j’ai pris ma décision. Je ne voulais pas revivre cela, la constante impression d’être de trop, l’humiliation. Je suis sortie de la douche, et, dans un état second, j’ai ouvert le robinet de la baignoire, ouvert l’armoire à pharmacie et pris n’importe quelle boîte qui m'est tombée sous la main, puis j’ai fermé la porte de la salle de bain à clé. J’ai avalé la totalité des comprimés et je me suis allongée dans la baignoire jusqu'à ce que l’eau recouvre entièrement mon corps...
Yasmina Ben Laden
http://coursdefrançais.net/11sept.html