Alerte! L'école se clochardise
Alerte! L’école se
clochardise!
Par
Kamel BOUDJADI Journal L'Expression du 27/05/2009
Les victimes de la décadence sociale
Agressions, bagarres, vulgarités et obscénités sont le lot quotidien de nos établissements scolaires.
Les enseignants ont peur. Les établissements scolaires ne sont plus
sécurisés. Les parents craignent pour leurs enfants. Les élèves ont une
crainte viscérale des bonnes notes. Ils risquent, en les obtenant,
d’être la cible des mauvais élèves. Cette fin d’année a connu des cas
de violence inqualifiable dans les écoles. L’insécurité dans le milieu
scolaire s’amplifie à une vitesse vertigineuse. Le phénomène ne se
limite pas à une seule wilaya. Il est national. La situation est
alarmante. Une virée dans l’enceinte des établissements et des
discussions avec les écoliers, les enseignants, les responsables
renseignent, s’il en est besoin, sur l’état de déliquescence atteint. A
l’issue de nos pérénigrations dans le milieu scolaire, il s’avère
qu’une réflexion profonde doit réunir tous les segments de la société
et dans les plus brefs délais.
La semaine dernière à Makouda, les enseignants d’un CEM ont dû se
mobiliser pour quitter l’établissement et échapper aux jets de pierres
des élèves qui partaient en vacances. A Boudjima, des surveillants ont
été contraints d’en arriver aux mains avec des délictueux qui se sont
introduits dans l’école. Dans le lycée de la même commune, des bandes
de délinquants vendent et consomment de la drogue devant le portail au
vu et au su des responsables dépourvus de moyens d’intervention.
Quelques centaines de mètres plus loin, dans un CEM à Yafadjen, les
bagarres entre bandes rivales font le quotidien. Pour un petit
problème, des jeunes issus de différents villages ont préféré le régler
avec des barres de fer au sein de l’établissement. A Timizart, une
école a connu des affrontements d’une rare violence à la suite d’une
autre altercation entre des élèves. Dans la ville de Tigzirt, le lycée
Toumi n’a pas échappé à cette vague de violence où l’on assiste effarés
à des batailles rangées qui s’étendent jusque dans la ville. Au lycée
Amirouche de Tizi Ouzou, un élève a été poignardé en plein cours et
devant ses camarades. Les cas sont nombreux. Leur récurrence mène,
selon un psychologue sollicité, à la banalisation de la violence. Ce
qui est en soi le plus grand danger et qu’il faut combattre.
Quand la violence entre en classe
A quelques jours des vacances, nous avons demandé à un enseignant de
nous réaliser une petite enquête auprès des élèves de son
établissement. La question était simple: écrire sur une feuille ce
qu’ils pensent de leur établissement. Les réponses ont révélé un état
d’esprit très en deçà des objectifs de l’école.
«Ouf! enfin on ne reviendra plus ici», «Cela ne sert à rien d’étudier,
les diplômes n’ont aucune valeur, l’argent se gagne autrement.» Toutes
les réponses des garçons se résument ainsi. «Il n’y a plus de respect
dans cette école.» C’est là la tendance générale chez les filles. Si
les garçons ont exprimé ce qui est déjà dit sur l’école, les filles,
par contre, révèlent un nouveau phénomène: le manque de respect, la
vulgarité, les agressions verbales et les obscénités quotidiennes d’une
catégorie d’élèves.
Le corps enseignant est gagné par la peur. Devant les dépassements de
certains élèves, les enseignants, voire les surveillants, observent la
loi de l’omerta par crainte de représailles. Dehors, ils n’ont aucune
immunité. Dans bien des cas, ils se sont fait tabasser même dans les
classes. Dans certaines régions de la wilaya de Tizi Ouzou, ces
derniers affirmaient que l’absence de corps de sécurité a fait que les
élèves agressifs vous menacent ouvertement en toute impunité. Il y en a
qui fument, qui consomment de l’alcool et même certaines drogues. Les
agressions contre leurs camarades filles sont légion. C’est en fait, ce
dont parlaient les filles qui évoquaient le manque de respect.
«Voyez-vous, on n’est même pas capables de faire porter la blouse aux
garçons et pourtant c’est une obligation», révélera un enseignant.
Il y a une grande majorité d’élèves au niveau moyen qui continuent à
suivre les cours avec une assiduité exemplaire. Il y a également une
proportion d’écoliers qui ont un niveau excellent mais qui sont devenus
dans bien des cas la risée des cancres. «Nous ne pouvons pas avoir de
bonnes notes, les autres nous considèrent comme des filles», confiera
un excellent élève. Au fil de la discussion, il s’est avéré que les
enseignants font face à chaque début d’année au même phénomène. «Ce
sont toujours les élèves exclus et réintégrés qui sèment le trouble
dans les établissements», déplore un autre enseignant. «S’ils ont été
exclus, c’est bien parce qu’ils n’ont rien à voir avec l’école»
martèle-t-il excédé par cette pratique. Nous avons tenté de joindre la
tutelle pour des explications, en vain.
Les trouble-fêtes
Toutefois, dans tous les établissements visités, les enseignants comme
les responsables fuient ce sujet «tabou». Mais, existe-t-il une loi qui
prend en charge le dossier des exclus? Nous n’avons eu comme réponse
que la note obligatoire de passage fixée à 10/20. «Cette loi est en soi
une agression», considère un enseignant à la retraite. D’autres
intervenants ont insisté sur la nécessité de rétablir la souveraineté
du conseil de classe. «Quand un élève est certain de ne pas avoir cette
note et qui sait aussi que le jugement de son enseignant est
insuffisant pour le racheter, que voulez-vous qu’il fasse?»
s’interrogeait un directeur d’école. En fait, le phénomène des
réintégrations est tellement répandu qu’il est banalisé. Tout le monde
recourt à une connaissance pour réintégrer un fils ou un frère.
Certains nous ont même informé qu’il y en a qui ont payé pour ce
service occulte.
Les élèves réintégrés ainsi que d’autres qui ont été entraînés dans la
spirale souvent par force, n’ont pas d’autre moyen de s’affirmer que
par la violence envers leurs enseignants et leurs camarades. C’est la
conclusion que nous avons recueillie de la majorité des enseignants
mais, est-ce vraiment suffisant? D’autres affirmeront qu’il existe des
cas de réussite parmi cette catégorie et la volonté juvénile
d’affirmation de soi est largement tributaire de son environnement.
Quel environnement?
La violence, la drogue, le travail des enfants, le gain facile et bien d’autres phénomènes.
«Dans la rue comme au sein des foyers, la majeur partie des discussions
tourne autour de l’argent» soutiendra le père d’un lycéen qui a obtenu
son baccalauréat avec une excellente moyenne. En effet, un grand nombre
de collégiens et de lycéens sous-estiment le pouvoir d’un diplôme dans
la vie professionnelle. Regardez autour de vous, les gens quittent
l’école dès le premier palier et deviennent très riches, «mes amis qui
ont quitté l’école et se sont mis à la vente de cigarettes sont
aujourd’hui plus aisés que moi.» Nous avons même recueilli le
témoignage d’un élève harcelé par sa mère pour qu’il quitte l’école.
«Nos voisins ne sont pas des diplômés supérieurs mais ils possèdent
tous des véhicules alors que mon père qui est enseignant nous emmène à
la plage dans un fourgon de transport», avoue-t-il.
En dehors du cadre familial, la situation confirme le constat. L’homme,
exemple pour le commun des mortels, aujourd’hui, est celui qui a une
belle voiture et beaucoup d’argent. C’est l’avis général qui se dégage
des conversations que nous avons engagées dans les cafés et tous les
espaces publics. «Comptez le nombre de restaurants et celui des
librairies dans la ville de Tizi Ouzou et revenez me parler de ça»,
lance un vieux retraité.
Les causes sont tellement imbriquées que la recherche de solutions
n’est pas du seul ressort de la tutelle du secteur. L’apport de
l’enseignant dans la formation d’un citoyen équilibré est anéanti par
la tendance générale de l’éducation familiale d’aujourd’hui. Le rêve
d’un enfant se réalise dans la rue alors que des jeunes qui se sont
enrichis dans la rue regrettent un peu tard ce savoir qu’ils n’ont pas
acquis. «Vous ne pouvez pas savoir à quel point je veux acquérir le
savoir.» C’est là le témoignage d’un jeune commerçant grossiste en
électroménager.
Enfin, si l’école est victime d’une vague de violence inouïe, doit-on
l’imputer à la société ou doit-elle revoir sa copie pour avoir failli
dans sa mission de former un bon citoyen?
Kamel BOUDJADI Journal L'Expression du 27/05/2009
Alerte! L’école se
clochardise!
Par
Kamel BOUDJADI Journal L'Expression du 27/05/2009
Les victimes de la décadence sociale
Agressions, bagarres, vulgarités et obscénités sont le lot quotidien de nos établissements scolaires.
Les enseignants ont peur. Les établissements scolaires ne sont plus
sécurisés. Les parents craignent pour leurs enfants. Les élèves ont une
crainte viscérale des bonnes notes. Ils risquent, en les obtenant,
d’être la cible des mauvais élèves. Cette fin d’année a connu des cas
de violence inqualifiable dans les écoles. L’insécurité dans le milieu
scolaire s’amplifie à une vitesse vertigineuse. Le phénomène ne se
limite pas à une seule wilaya. Il est national. La situation est
alarmante. Une virée dans l’enceinte des établissements et des
discussions avec les écoliers, les enseignants, les responsables
renseignent, s’il en est besoin, sur l’état de déliquescence atteint. A
l’issue de nos pérénigrations dans le milieu scolaire, il s’avère
qu’une réflexion profonde doit réunir tous les segments de la société
et dans les plus brefs délais.
La semaine dernière à Makouda, les enseignants d’un CEM ont dû se
mobiliser pour quitter l’établissement et échapper aux jets de pierres
des élèves qui partaient en vacances. A Boudjima, des surveillants ont
été contraints d’en arriver aux mains avec des délictueux qui se sont
introduits dans l’école. Dans le lycée de la même commune, des bandes
de délinquants vendent et consomment de la drogue devant le portail au
vu et au su des responsables dépourvus de moyens d’intervention.
Quelques centaines de mètres plus loin, dans un CEM à Yafadjen, les
bagarres entre bandes rivales font le quotidien. Pour un petit
problème, des jeunes issus de différents villages ont préféré le régler
avec des barres de fer au sein de l’établissement. A Timizart, une
école a connu des affrontements d’une rare violence à la suite d’une
autre altercation entre des élèves. Dans la ville de Tigzirt, le lycée
Toumi n’a pas échappé à cette vague de violence où l’on assiste effarés
à des batailles rangées qui s’étendent jusque dans la ville. Au lycée
Amirouche de Tizi Ouzou, un élève a été poignardé en plein cours et
devant ses camarades. Les cas sont nombreux. Leur récurrence mène,
selon un psychologue sollicité, à la banalisation de la violence. Ce
qui est en soi le plus grand danger et qu’il faut combattre.
Quand la violence entre en classe
A quelques jours des vacances, nous avons demandé à un enseignant de
nous réaliser une petite enquête auprès des élèves de son
établissement. La question était simple: écrire sur une feuille ce
qu’ils pensent de leur établissement. Les réponses ont révélé un état
d’esprit très en deçà des objectifs de l’école.
«Ouf! enfin on ne reviendra plus ici», «Cela ne sert à rien d’étudier,
les diplômes n’ont aucune valeur, l’argent se gagne autrement.» Toutes
les réponses des garçons se résument ainsi. «Il n’y a plus de respect
dans cette école.» C’est là la tendance générale chez les filles. Si
les garçons ont exprimé ce qui est déjà dit sur l’école, les filles,
par contre, révèlent un nouveau phénomène: le manque de respect, la
vulgarité, les agressions verbales et les obscénités quotidiennes d’une
catégorie d’élèves.
Le corps enseignant est gagné par la peur. Devant les dépassements de
certains élèves, les enseignants, voire les surveillants, observent la
loi de l’omerta par crainte de représailles. Dehors, ils n’ont aucune
immunité. Dans bien des cas, ils se sont fait tabasser même dans les
classes. Dans certaines régions de la wilaya de Tizi Ouzou, ces
derniers affirmaient que l’absence de corps de sécurité a fait que les
élèves agressifs vous menacent ouvertement en toute impunité. Il y en a
qui fument, qui consomment de l’alcool et même certaines drogues. Les
agressions contre leurs camarades filles sont légion. C’est en fait, ce
dont parlaient les filles qui évoquaient le manque de respect.
«Voyez-vous, on n’est même pas capables de faire porter la blouse aux
garçons et pourtant c’est une obligation», révélera un enseignant.
Il y a une grande majorité d’élèves au niveau moyen qui continuent à
suivre les cours avec une assiduité exemplaire. Il y a également une
proportion d’écoliers qui ont un niveau excellent mais qui sont devenus
dans bien des cas la risée des cancres. «Nous ne pouvons pas avoir de
bonnes notes, les autres nous considèrent comme des filles», confiera
un excellent élève. Au fil de la discussion, il s’est avéré que les
enseignants font face à chaque début d’année au même phénomène. «Ce
sont toujours les élèves exclus et réintégrés qui sèment le trouble
dans les établissements», déplore un autre enseignant. «S’ils ont été
exclus, c’est bien parce qu’ils n’ont rien à voir avec l’école»
martèle-t-il excédé par cette pratique. Nous avons tenté de joindre la
tutelle pour des explications, en vain.
Les trouble-fêtes
Toutefois, dans tous les établissements visités, les enseignants comme
les responsables fuient ce sujet «tabou». Mais, existe-t-il une loi qui
prend en charge le dossier des exclus? Nous n’avons eu comme réponse
que la note obligatoire de passage fixée à 10/20. «Cette loi est en soi
une agression», considère un enseignant à la retraite. D’autres
intervenants ont insisté sur la nécessité de rétablir la souveraineté
du conseil de classe. «Quand un élève est certain de ne pas avoir cette
note et qui sait aussi que le jugement de son enseignant est
insuffisant pour le racheter, que voulez-vous qu’il fasse?»
s’interrogeait un directeur d’école. En fait, le phénomène des
réintégrations est tellement répandu qu’il est banalisé. Tout le monde
recourt à une connaissance pour réintégrer un fils ou un frère.
Certains nous ont même informé qu’il y en a qui ont payé pour ce
service occulte.
Les élèves réintégrés ainsi que d’autres qui ont été entraînés dans la
spirale souvent par force, n’ont pas d’autre moyen de s’affirmer que
par la violence envers leurs enseignants et leurs camarades. C’est la
conclusion que nous avons recueillie de la majorité des enseignants
mais, est-ce vraiment suffisant? D’autres affirmeront qu’il existe des
cas de réussite parmi cette catégorie et la volonté juvénile
d’affirmation de soi est largement tributaire de son environnement.
Quel environnement?
La violence, la drogue, le travail des enfants, le gain facile et bien d’autres phénomènes.
«Dans la rue comme au sein des foyers, la majeur partie des discussions
tourne autour de l’argent» soutiendra le père d’un lycéen qui a obtenu
son baccalauréat avec une excellente moyenne. En effet, un grand nombre
de collégiens et de lycéens sous-estiment le pouvoir d’un diplôme dans
la vie professionnelle. Regardez autour de vous, les gens quittent
l’école dès le premier palier et deviennent très riches, «mes amis qui
ont quitté l’école et se sont mis à la vente de cigarettes sont
aujourd’hui plus aisés que moi.» Nous avons même recueilli le
témoignage d’un élève harcelé par sa mère pour qu’il quitte l’école.
«Nos voisins ne sont pas des diplômés supérieurs mais ils possèdent
tous des véhicules alors que mon père qui est enseignant nous emmène à
la plage dans un fourgon de transport», avoue-t-il.
En dehors du cadre familial, la situation confirme le constat. L’homme,
exemple pour le commun des mortels, aujourd’hui, est celui qui a une
belle voiture et beaucoup d’argent. C’est l’avis général qui se dégage
des conversations que nous avons engagées dans les cafés et tous les
espaces publics. «Comptez le nombre de restaurants et celui des
librairies dans la ville de Tizi Ouzou et revenez me parler de ça»,
lance un vieux retraité.
Les causes sont tellement imbriquées que la recherche de solutions
n’est pas du seul ressort de la tutelle du secteur. L’apport de
l’enseignant dans la formation d’un citoyen équilibré est anéanti par
la tendance générale de l’éducation familiale d’aujourd’hui. Le rêve
d’un enfant se réalise dans la rue alors que des jeunes qui se sont
enrichis dans la rue regrettent un peu tard ce savoir qu’ils n’ont pas
acquis. «Vous ne pouvez pas savoir à quel point je veux acquérir le
savoir.» C’est là le témoignage d’un jeune commerçant grossiste en
électroménager.
Enfin, si l’école est victime d’une vague de violence inouïe, doit-on
l’imputer à la société ou doit-elle revoir sa copie pour avoir failli
dans sa mission de former un bon citoyen?
Kamel BOUDJADI Journal L'Expression du 27/05/2009