TEXTE 1
Mon regard indifférent rencontra, au-dessus de la commode, dans une petite bibliothèque pondue au mur, quelques vieux ouvrages et leurs titres. Je fus étonné de voir que tous traitaient de diableries et de sorciers. Je pris un livre : les sorciers du Jura, et, avec le sourire sceptique de l’homme qui s’est placé au-dessus du destin, je l’ouvris. Les deux premières lignes, écrites à l’encre rouge, me sautèrent aux yeux : « Quand on veut voir sérieusement le diable, on a qu’à l’appeler de tout cœur, il vient ! » suivant l’histoire d’un homme qui, amoureux désespéré comme moi, ruiné comme moi, avait sincèrement appelé à son secours le prince des ténèbres et qui avait été secouru ; car, quelques mois plus tard, redevenu incroyablement riche, il épousait celle qui aimait. Je lus cette histoire jusqu’au bout. « Eh bien, en voilà un qui a eu de la chance ! » m’écriai-je, et je rejetai le livre sur la commode. Dehors, Mystère* hululait toujours… Je soulevai le rideau de la fenêtre et ne pus m’empêcher de tressaillir devant l’ombre dansante de ma chienne sous la lune.
On eut dit vraiment que la bête était possédée, tant ses bonds étaient désordonnés et inexplicables. Elle avait l’air de happer une forme que je ne voyais pas.
« Elle empêche peut-être le diable d’entre, fis-je tout haut. Pourtant, je ne l’ai pas encore appelé !... »
J’essayais de plaisanter, mais l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, la lecture que je venais de faire, le hurlement de ma chienne, ses bonds bizarres, le lieu sinistre, cette vieille chambre, ces pistolets chargés pour moi, tout contribué à m’impressionner, plus que je n’avais la bonne foi de me l’avouer…
Je quittai la fenêtre et marchai un peu dans ma chambre. Tout à coup, je me vis dans l’armoire à glace. Ma pâleur était telle que je crus que j’étais déjà mort ! Hélas, non ! L’homme qui était devant cette armoire n’était point mort. Mais c’était un vivant qui évoquait le roi des morts Oui, écoutez-moi…j’ai fait ça….De tout mon cœur…Je l’appelais ! A mon secours… ! Car j’étais trop jeune pour mourir. Je voulais jouir encore de la vie, être riche encore…pour elle !...Moi, j’ai appelé le diable ! Et alors, dans la glace, à côté de ma figure, quelque chose est venue…quelque chose de surhumain, une pâleur, un brouillard, une petite nuée, une figure, resplendissante soudain à côté de ma propre face de damné…et une bouche qui me dit : « Ouvre !... » Alors, j’ai reculé, mais la bouche qui disait encore : « Ouvre ! Ouvre si tu l’oses !... »Et comme je n’osais pas, on a frappé trois coup dans la porte de l’armoire…et la porte s’est ouverte…toute seule…
Mon regard indifférent rencontra, au-dessus de la commode, dans une petite bibliothèque pondue au mur, quelques vieux ouvrages et leurs titres. Je fus étonné de voir que tous traitaient de diableries et de sorciers. Je pris un livre : les sorciers du Jura, et, avec le sourire sceptique de l’homme qui s’est placé au-dessus du destin, je l’ouvris. Les deux premières lignes, écrites à l’encre rouge, me sautèrent aux yeux : « Quand on veut voir sérieusement le diable, on a qu’à l’appeler de tout cœur, il vient ! » suivant l’histoire d’un homme qui, amoureux désespéré comme moi, ruiné comme moi, avait sincèrement appelé à son secours le prince des ténèbres et qui avait été secouru ; car, quelques mois plus tard, redevenu incroyablement riche, il épousait celle qui aimait. Je lus cette histoire jusqu’au bout. « Eh bien, en voilà un qui a eu de la chance ! » m’écriai-je, et je rejetai le livre sur la commode. Dehors, Mystère* hululait toujours… Je soulevai le rideau de la fenêtre et ne pus m’empêcher de tressaillir devant l’ombre dansante de ma chienne sous la lune.
On eut dit vraiment que la bête était possédée, tant ses bonds étaient désordonnés et inexplicables. Elle avait l’air de happer une forme que je ne voyais pas.
« Elle empêche peut-être le diable d’entre, fis-je tout haut. Pourtant, je ne l’ai pas encore appelé !... »
J’essayais de plaisanter, mais l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, la lecture que je venais de faire, le hurlement de ma chienne, ses bonds bizarres, le lieu sinistre, cette vieille chambre, ces pistolets chargés pour moi, tout contribué à m’impressionner, plus que je n’avais la bonne foi de me l’avouer…
Je quittai la fenêtre et marchai un peu dans ma chambre. Tout à coup, je me vis dans l’armoire à glace. Ma pâleur était telle que je crus que j’étais déjà mort ! Hélas, non ! L’homme qui était devant cette armoire n’était point mort. Mais c’était un vivant qui évoquait le roi des morts Oui, écoutez-moi…j’ai fait ça….De tout mon cœur…Je l’appelais ! A mon secours… ! Car j’étais trop jeune pour mourir. Je voulais jouir encore de la vie, être riche encore…pour elle !...Moi, j’ai appelé le diable ! Et alors, dans la glace, à côté de ma figure, quelque chose est venue…quelque chose de surhumain, une pâleur, un brouillard, une petite nuée, une figure, resplendissante soudain à côté de ma propre face de damné…et une bouche qui me dit : « Ouvre !... » Alors, j’ai reculé, mais la bouche qui disait encore : « Ouvre ! Ouvre si tu l’oses !... »Et comme je n’osais pas, on a frappé trois coup dans la porte de l’armoire…et la porte s’est ouverte…toute seule…
Gaston LEROUX ; L’Homme qui a vu le diable, 1908