Albert Camus, version abécédaire
Albert Camus, gagnant du prix Nobel de littérature 1957
Library of Congress/ Domaine public
Par Elisabeth Bouvet
Il y a cinquante ans, le lundi 4 janvier 1960, disparaissait Albert Camus, mort à l’âge de 47 ans dans un accident de voiture entre Lourmarin, dans le Lubéron où l’écrivain avait élu domicile, et Paris. Au volant, son éditeur Michel Gallimard qui décédera également. Parution, à l’occasion de cette commémoration, d’une série d’ouvrages dont un Dictionnaire Albert Camus (Coll Bouquins, ed Robert Laffont) conçu sous la direction de l’universitaire Jeanyves Guérin. Entretien.
A quoi servent les anniversaires et autres commémorations, sinon - le temps aidant - à jeter un nouvel éclairage sur une œuvre voire sur son auteur, à « totaliser tous les savoirs », pour reprendre l’expression de Jeanyves Guérin. Tout le sens de ce dictionnaire, outil décidément à la mode, qui avec ses 992 pages et ses 539 entrées, de A comme Abbas Ferhat, premier homme de la liste (Abbas, journaliste algérien et militant de gauche, devint le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne de 1958 à 1961) à Z comme Zagreus, Roland (personnage tout droit sorti de L’Etranger) qui clôt cette approche discursive de l’œuvre d’Albert Camus. De la réalité à la fiction, de l’Algérie à … l’Algérie, ces deux notices extrêmes résument assez bien le parcours du Prix Nobel de littérature (1957).
Pluralité des discours et des approches
Robert Laffont
Même à la mode, le dictionnaire se révèle cependant assez précieux et même opportun dans le cas de l’auteur de La Peste dans le sens où « chacun a, avait et sans doute aura son Camus » : « C’est une œuvre très éclatée […], et en général les lectures étaient très spécialisées et nous avons eu là, la volonté de tout mettre ensemble ». Le dictionnaire, c’est aussi « la pluralité des discours » et des approches, ce que rappelle Jeanyves Guérin dans sa préface puisque des spécialistes de Camus ont été sollicités dans le monde entier, qu’ils soient littéraires, philosophes, historiens ou juristes. Et sur un même sujet, plusieurs auteurs se sont partagé la tâche.
Lancé il y a quatre ans, le dictionnaire se veut aussi le reflet d’une œuvre à un moment précis, une sorte d’instantanée en rapport avec son époque. Il y a cinquante ans « on n’aurait pas pensé à mettre ‘Nouvel ordre international’, ‘Laïcité’, ‘Islam’ et surtout Le Premier homme (publié en 1994, ndlr) ». Preuve, s’il en fallait, que « Camus est un auteur qui nous parle beaucoup aujourd’hui ». Jusqu’au (presque) dernier moment d’ailleurs, des mots sont apparus in extremis, à l’instar de Claudel (Paul), référence pour le moins surprenante. Et pourtant, entre le croyant et le laïc, ou plutôt entre le laïc et le croyant, il y eut bien un lien : « Dans un échange entre Camus et Jean-Louis Barrault, on s’est aperçu qu’il avait vu Le Soulier de satin d’où cette notice ». En cela, ce dictionnaire s’adapte parfaitement à celui qui l’a inspiré car, insiste Jeanyves Guérin, « ça montre qu’on est en présence d’une œuvre ouverte ».
L'écrivain d'un double ailleurs
Et d’une œuvre encore à débroussailler si l’on se réfère aux nombreuses correspondances encore à ce jour « inédites ». Ainsi de celle que Camus a entretenue avec Roger Martin du Gard, comme on peut le lire dans le dictionnaire. Et ainsi de suite. Derrière les entrées évidentes et incontournables telles que « L’Etranger », « Le Premier homme », « le Théâtre », « l’Algérie » et « l’Europe » dont Camus fut un ardent défenseur (sélection opérée par Jeanyves Guérin), ce sont en effet une kyrielle de renvois plus ou moins attendus qui dessinent au plus près le portrait d’un écrivain venu d’un « double ailleurs » à savoir l’Algérie et le milieu modeste où il a grandi. Ce qui lui valut du reste cette position à part, en dehors des cercles et des partis.
De sa passion pour le théâtre (« comparable » à celle qui ne l’a jamais quitté pour le football, deux formes d’exercice collectif) aux attaques dont il fut la cible de la part de l’Intelligentsia germanopratine en passant par son engagement auprès des défavorisés et, dans le drame algérien, contre le terrorisme, ou encore par la récente proposition du Président Sarkozy de faire entrer Camus au Panthéon, Jeanyves Guérin balaye les grands thèmes camusiens… de A à Z, ou presque. Mais avant de revenir sur le parcours de celui qui se définissait lui-même comme un « franc-tireur », ce grand spécialiste de la littérature française qu’il enseigne à l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle nous explique selon quels dosages, le dictionnaire a été construit…
SON « Il est la conscience morale qui manque à notre époque » (citation)
« Soleil » : l’entrée figure à la page 847. Où l’on peut lire, et contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, que ce terme ne figure pas parmi les « dix mots préférés » d’Albert Camus même s’il « tient une place singulière dans [son] œuvre ». C’est le soleil méditerranéen bien sûr mais dont l’ardeur n’est pas que source de vie ou symbole d’éternité, il peut aussi annoncer un drame à venir. Ainsi dans L’Etranger, le soleil s’apparente ni plus ni moins à un acteur de la tragédie. Mais quand en 1958, Camus achète une maison à Lourmarin, dans le Lubéron, il a enfin retrouvé cette lumière, ces vignobles qui lui rappellent Mondovi, dans l’Est algérien, où il est né le 7 novembre 1913 et où son père travaillait comme ouvrier caviste dans une importante exploitation vinicole avant de mourir en 1914 de l’autre côté de la Méditerranée, sous le drapeau français.
29/12/2009 - Cinquantenaire & Camus
Camus version fiction : la tentation du silence
Parmi les ouvrages parus à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, un roman qui raconte Les derniers jours de la vie d’Albert Camus (Actes Sud). Signé José Lenzini, un familier de l’auteur des Justes auquel il a déjà consacré trois ouvrages, ce court livre se glisse dans l’intimité d’un homme en proie aux doutes et aux interrogations.
Dictionnaire Albert Camus, sous la direction de Jeanyves Guérin, Collection Bouquins aux éditions Robert Laffont.
Pour en savoir plus sur la vie et l'oeuvre d'Albert Camus (1913-1960), cliquer sur le site du Centre Albert Camus à Aix-en-Provence.
A Lourmarin, les amis d'Albert Camus font revivre la mémoire de l'écrivain grâce aux Rencontres Méditerranéennes Albert Camus qui fêtaient à l'automne 2009 leurs dix ans.
Au Cinéma Champollion à Paris, reprise de l'un des films rarement montrés de Luchino Visconti, L'Etranger, d'après le roman de Camus. Dans le rôle de Meursault, Marcello Mastroianni.
Outre les diverses manifestations qui ponctueront cette année du cinquantenaire, citons l'initiative du Centre Pompidou qui, le 30 janvier, organise une journée de débats et de rencontres autour de Camus.
Rappelons qu'en 2013, nous célèbrerons le centenaire de la naissance d'Albert Camus, et qu'à ce titre le thème de la Méditerranée a été, entre autres, retenu par Marseille qui, cette année-là, sera Capitale européenne de la culture.
Pour prendre la mesure de l'émoi suscité par la proposition présidentielle de faire entrer Albert Camus au Panthéon, relire Camus au Panthéon : une récupération ?
Albert Camus, gagnant du prix Nobel de littérature 1957
Library of Congress/ Domaine public
Par Elisabeth Bouvet
Il y a cinquante ans, le lundi 4 janvier 1960, disparaissait Albert Camus, mort à l’âge de 47 ans dans un accident de voiture entre Lourmarin, dans le Lubéron où l’écrivain avait élu domicile, et Paris. Au volant, son éditeur Michel Gallimard qui décédera également. Parution, à l’occasion de cette commémoration, d’une série d’ouvrages dont un Dictionnaire Albert Camus (Coll Bouquins, ed Robert Laffont) conçu sous la direction de l’universitaire Jeanyves Guérin. Entretien.
A quoi servent les anniversaires et autres commémorations, sinon - le temps aidant - à jeter un nouvel éclairage sur une œuvre voire sur son auteur, à « totaliser tous les savoirs », pour reprendre l’expression de Jeanyves Guérin. Tout le sens de ce dictionnaire, outil décidément à la mode, qui avec ses 992 pages et ses 539 entrées, de A comme Abbas Ferhat, premier homme de la liste (Abbas, journaliste algérien et militant de gauche, devint le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne de 1958 à 1961) à Z comme Zagreus, Roland (personnage tout droit sorti de L’Etranger) qui clôt cette approche discursive de l’œuvre d’Albert Camus. De la réalité à la fiction, de l’Algérie à … l’Algérie, ces deux notices extrêmes résument assez bien le parcours du Prix Nobel de littérature (1957).
Pluralité des discours et des approches
Robert Laffont
Même à la mode, le dictionnaire se révèle cependant assez précieux et même opportun dans le cas de l’auteur de La Peste dans le sens où « chacun a, avait et sans doute aura son Camus » : « C’est une œuvre très éclatée […], et en général les lectures étaient très spécialisées et nous avons eu là, la volonté de tout mettre ensemble ». Le dictionnaire, c’est aussi « la pluralité des discours » et des approches, ce que rappelle Jeanyves Guérin dans sa préface puisque des spécialistes de Camus ont été sollicités dans le monde entier, qu’ils soient littéraires, philosophes, historiens ou juristes. Et sur un même sujet, plusieurs auteurs se sont partagé la tâche.
Lancé il y a quatre ans, le dictionnaire se veut aussi le reflet d’une œuvre à un moment précis, une sorte d’instantanée en rapport avec son époque. Il y a cinquante ans « on n’aurait pas pensé à mettre ‘Nouvel ordre international’, ‘Laïcité’, ‘Islam’ et surtout Le Premier homme (publié en 1994, ndlr) ». Preuve, s’il en fallait, que « Camus est un auteur qui nous parle beaucoup aujourd’hui ». Jusqu’au (presque) dernier moment d’ailleurs, des mots sont apparus in extremis, à l’instar de Claudel (Paul), référence pour le moins surprenante. Et pourtant, entre le croyant et le laïc, ou plutôt entre le laïc et le croyant, il y eut bien un lien : « Dans un échange entre Camus et Jean-Louis Barrault, on s’est aperçu qu’il avait vu Le Soulier de satin d’où cette notice ». En cela, ce dictionnaire s’adapte parfaitement à celui qui l’a inspiré car, insiste Jeanyves Guérin, « ça montre qu’on est en présence d’une œuvre ouverte ».
L'écrivain d'un double ailleurs
Et d’une œuvre encore à débroussailler si l’on se réfère aux nombreuses correspondances encore à ce jour « inédites ». Ainsi de celle que Camus a entretenue avec Roger Martin du Gard, comme on peut le lire dans le dictionnaire. Et ainsi de suite. Derrière les entrées évidentes et incontournables telles que « L’Etranger », « Le Premier homme », « le Théâtre », « l’Algérie » et « l’Europe » dont Camus fut un ardent défenseur (sélection opérée par Jeanyves Guérin), ce sont en effet une kyrielle de renvois plus ou moins attendus qui dessinent au plus près le portrait d’un écrivain venu d’un « double ailleurs » à savoir l’Algérie et le milieu modeste où il a grandi. Ce qui lui valut du reste cette position à part, en dehors des cercles et des partis.
De sa passion pour le théâtre (« comparable » à celle qui ne l’a jamais quitté pour le football, deux formes d’exercice collectif) aux attaques dont il fut la cible de la part de l’Intelligentsia germanopratine en passant par son engagement auprès des défavorisés et, dans le drame algérien, contre le terrorisme, ou encore par la récente proposition du Président Sarkozy de faire entrer Camus au Panthéon, Jeanyves Guérin balaye les grands thèmes camusiens… de A à Z, ou presque. Mais avant de revenir sur le parcours de celui qui se définissait lui-même comme un « franc-tireur », ce grand spécialiste de la littérature française qu’il enseigne à l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle nous explique selon quels dosages, le dictionnaire a été construit…
SON « Il est la conscience morale qui manque à notre époque » (citation)
« Soleil » : l’entrée figure à la page 847. Où l’on peut lire, et contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, que ce terme ne figure pas parmi les « dix mots préférés » d’Albert Camus même s’il « tient une place singulière dans [son] œuvre ». C’est le soleil méditerranéen bien sûr mais dont l’ardeur n’est pas que source de vie ou symbole d’éternité, il peut aussi annoncer un drame à venir. Ainsi dans L’Etranger, le soleil s’apparente ni plus ni moins à un acteur de la tragédie. Mais quand en 1958, Camus achète une maison à Lourmarin, dans le Lubéron, il a enfin retrouvé cette lumière, ces vignobles qui lui rappellent Mondovi, dans l’Est algérien, où il est né le 7 novembre 1913 et où son père travaillait comme ouvrier caviste dans une importante exploitation vinicole avant de mourir en 1914 de l’autre côté de la Méditerranée, sous le drapeau français.
29/12/2009 - Cinquantenaire & Camus
Camus version fiction : la tentation du silence
Parmi les ouvrages parus à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, un roman qui raconte Les derniers jours de la vie d’Albert Camus (Actes Sud). Signé José Lenzini, un familier de l’auteur des Justes auquel il a déjà consacré trois ouvrages, ce court livre se glisse dans l’intimité d’un homme en proie aux doutes et aux interrogations.
Dictionnaire Albert Camus, sous la direction de Jeanyves Guérin, Collection Bouquins aux éditions Robert Laffont.
Pour en savoir plus sur la vie et l'oeuvre d'Albert Camus (1913-1960), cliquer sur le site du Centre Albert Camus à Aix-en-Provence.
A Lourmarin, les amis d'Albert Camus font revivre la mémoire de l'écrivain grâce aux Rencontres Méditerranéennes Albert Camus qui fêtaient à l'automne 2009 leurs dix ans.
Au Cinéma Champollion à Paris, reprise de l'un des films rarement montrés de Luchino Visconti, L'Etranger, d'après le roman de Camus. Dans le rôle de Meursault, Marcello Mastroianni.
Outre les diverses manifestations qui ponctueront cette année du cinquantenaire, citons l'initiative du Centre Pompidou qui, le 30 janvier, organise une journée de débats et de rencontres autour de Camus.
Rappelons qu'en 2013, nous célèbrerons le centenaire de la naissance d'Albert Camus, et qu'à ce titre le thème de la Méditerranée a été, entre autres, retenu par Marseille qui, cette année-là, sera Capitale européenne de la culture.
Pour prendre la mesure de l'émoi suscité par la proposition présidentielle de faire entrer Albert Camus au Panthéon, relire Camus au Panthéon : une récupération ?