Par
cette matinée de printemps où le soleil brillait dans un ciel
bleu et où les colombes bombardaient les bâtiments de leurs
déjections avec une précision redoutable, qui aurait pensé qu'une
terrible menace se profilait pour l'humanité ? Rien ne laissait
prévoir qu'un malheur, une imminente catastrophe, une indicible
horreur allait faire de cette journée un cauchemar.
C'est par cette belle matinée que Juan s'éveilla.
Rien ne pressait. C'était jour férié. Il resta quelques heures
dans son lit à paresser. Puis la faim le décida à se lever.
Il alla préparer son petit déjeuner.
Il entra dans la cuisine en chantonnant, esquissa
quelques pas de danse maladroits au son de Thriller,
de Michael Jackson, qu'il sifflait faux. En même temps, il disposait
tout ce dont il avait besoin pour déjeuner.
Il plaça une poêle contenant de l'huile sur
la plaque de vitrocéramique qu'il alluma. Pendant qu'elle chauffait,
Juan, avec une précision de chirurgien, cassa deux œufs, les
battit, ajouta une pincée de sel et versa le tout dans la poêle.
La masse commença à croître. Juan la répartit sur toute la surface
du récipient.
La masse continuait à croître.
Juan tapa dessus avec une cuillère.
La masse continuait à croître.
Intrigué, il vit l'omelette déborder de la
poêle. Il éteignit la plaque.
La masse continuait à croître.
Il essaya de l'arrêter en tapant dessus. Mais
elle avait désormais sa vie propre. Elle bougeait, palpitait,
rampait dans sa direction, croissait irrésistiblement. Les coups
restaient sans effet.
Il recula, horrifié, tremblant, livide, devant
l'horreur qui se formait sous ses yeux.
L'Omelette palpitait, augmentait de volume,
émettait un gargouillis sinistre. Elle se répandit à travers
la cuisine jusqu'au frigo où elle s'arrêta. Elle mesurait maintenant
un mètre de diamètre et semblait ne plus évoluer. De son centre
commença à s'élever une protubérance qui, ensuite, se dédoubla.
Puis les grosseurs s'ouvrirent et firent apparaître deux yeux
énormes et méchants qui, après avoir jeté un regard circulaire,
se fixèrent sur Juan.
Il
décida que le moment était venu de prendre la fuite. Mais l'Omelette
lui sauta dessus. Juan essaya de se dégager en tournant sur
lui lui-même et se cognant contre les murs. En vain. La masse
lui couvrait vicieusement la tête, et elle continua à bouger
jusqu'à ce qu'elle l'ait complètement enveloppé. Juan et l'Omelette
tombèrent sur le sol. Durant quelques minutes interminables,
angoissantes, il se convulsa, puis il cessa de bouger.
L'Omelette resta sur le corps immobile et
continua de se développer en assimilant les sucs et les tissus
de Juan. Quelques minutes plus tard, une Omelette de 80 kilos
laissa derrière elle un tas de vêtements et d'os nettoyés. Elle
avait désormais pris conscience d'elle-même. Elle s'aperçut
qu'elle avait très faim et, étirant une partie d'elle-même pour
former un tentacule, elle se mit à la recherche d'autres substances
nutritives. Il lui fallait trouver de quoi répondre à ses attentes.
Elle se dirigea vers la porte de la cuisine. Elle sortit dans
le couloir et se déroula en ondulant jusqu'à l'endroit où ses
sens lui indiquaient la présence de nourriture. Aussitôt , 50
kilos de chair canine se précipitèrent sur elle en aboyant.
C'était Rusky, la mascotte de Juan. L'Omelette était dépourvue
d'organe de l'ouïe, et, par conséquent, peu lui importaient
les efforts fébriles déployés par l'animal pour lui faire peur
; ce qui l'embêtait, c'était de savoir qu'elle risquait de laisser
sous ses crocs une partie d'elle-même. Mais elle ne s'inquiéta
pas vraiment , parce qu'en fait elle n'en avait guère la possibilité.
Elle enveloppa le chien et le dévora. Quelques minutes plus
tard, elle poursuivit son chemin, laissant derrière elle un
collier portant une plaque sur laquelle était gravé le mot Rusky.
Cent trente kilos d'Omelette parvinrent à
la porte de la maison. Ils furent traversés par cette pensée
élémentaire : « Porte » suivie d'une
autre, un peu plus compliquée : « Ouvrir ».
La masse projeta un tentacule, ouvrit la porte et sortit, puis
elle déploya des prolongements en forme de vrilles qu'elle agita
dans l'air. Son odorat lui fournit deux indications : le
monde était très grand et il était plein de choses à manger.
Dans un état d'âme apparenté à la félicité, l'Omelette se déroula
le long de l'escalier. Quand elle sortit dans la rue, elle avait
dévoré six voisins, deux chiens, un chat, le canari de la vieille
dame du deuxième – la vieille dame était un peu racornie,
et elle l'avait laissée de côté – un vendeur d'assurances
à domicile ainsi que le facteur. Maintenant, elle pesait 580
kilos, elle avait des idées assez claires et puis elle disposait
d'un projet pour l'avenir : dévorer toutes ces créatures
délicieuses, tous les êtres à deux pattes qu'il y avait dans
le monde, après quoi elle penserait à autre chose.
cette matinée de printemps où le soleil brillait dans un ciel
bleu et où les colombes bombardaient les bâtiments de leurs
déjections avec une précision redoutable, qui aurait pensé qu'une
terrible menace se profilait pour l'humanité ? Rien ne laissait
prévoir qu'un malheur, une imminente catastrophe, une indicible
horreur allait faire de cette journée un cauchemar.
C'est par cette belle matinée que Juan s'éveilla.
Rien ne pressait. C'était jour férié. Il resta quelques heures
dans son lit à paresser. Puis la faim le décida à se lever.
Il alla préparer son petit déjeuner.
Il entra dans la cuisine en chantonnant, esquissa
quelques pas de danse maladroits au son de Thriller,
de Michael Jackson, qu'il sifflait faux. En même temps, il disposait
tout ce dont il avait besoin pour déjeuner.
Il plaça une poêle contenant de l'huile sur
la plaque de vitrocéramique qu'il alluma. Pendant qu'elle chauffait,
Juan, avec une précision de chirurgien, cassa deux œufs, les
battit, ajouta une pincée de sel et versa le tout dans la poêle.
La masse commença à croître. Juan la répartit sur toute la surface
du récipient.
La masse continuait à croître.
Juan tapa dessus avec une cuillère.
La masse continuait à croître.
Intrigué, il vit l'omelette déborder de la
poêle. Il éteignit la plaque.
La masse continuait à croître.
Il essaya de l'arrêter en tapant dessus. Mais
elle avait désormais sa vie propre. Elle bougeait, palpitait,
rampait dans sa direction, croissait irrésistiblement. Les coups
restaient sans effet.
Il recula, horrifié, tremblant, livide, devant
l'horreur qui se formait sous ses yeux.
L'Omelette palpitait, augmentait de volume,
émettait un gargouillis sinistre. Elle se répandit à travers
la cuisine jusqu'au frigo où elle s'arrêta. Elle mesurait maintenant
un mètre de diamètre et semblait ne plus évoluer. De son centre
commença à s'élever une protubérance qui, ensuite, se dédoubla.
Puis les grosseurs s'ouvrirent et firent apparaître deux yeux
énormes et méchants qui, après avoir jeté un regard circulaire,
se fixèrent sur Juan.
Il
décida que le moment était venu de prendre la fuite. Mais l'Omelette
lui sauta dessus. Juan essaya de se dégager en tournant sur
lui lui-même et se cognant contre les murs. En vain. La masse
lui couvrait vicieusement la tête, et elle continua à bouger
jusqu'à ce qu'elle l'ait complètement enveloppé. Juan et l'Omelette
tombèrent sur le sol. Durant quelques minutes interminables,
angoissantes, il se convulsa, puis il cessa de bouger.
L'Omelette resta sur le corps immobile et
continua de se développer en assimilant les sucs et les tissus
de Juan. Quelques minutes plus tard, une Omelette de 80 kilos
laissa derrière elle un tas de vêtements et d'os nettoyés. Elle
avait désormais pris conscience d'elle-même. Elle s'aperçut
qu'elle avait très faim et, étirant une partie d'elle-même pour
former un tentacule, elle se mit à la recherche d'autres substances
nutritives. Il lui fallait trouver de quoi répondre à ses attentes.
Elle se dirigea vers la porte de la cuisine. Elle sortit dans
le couloir et se déroula en ondulant jusqu'à l'endroit où ses
sens lui indiquaient la présence de nourriture. Aussitôt , 50
kilos de chair canine se précipitèrent sur elle en aboyant.
C'était Rusky, la mascotte de Juan. L'Omelette était dépourvue
d'organe de l'ouïe, et, par conséquent, peu lui importaient
les efforts fébriles déployés par l'animal pour lui faire peur
; ce qui l'embêtait, c'était de savoir qu'elle risquait de laisser
sous ses crocs une partie d'elle-même. Mais elle ne s'inquiéta
pas vraiment , parce qu'en fait elle n'en avait guère la possibilité.
Elle enveloppa le chien et le dévora. Quelques minutes plus
tard, elle poursuivit son chemin, laissant derrière elle un
collier portant une plaque sur laquelle était gravé le mot Rusky.
Cent trente kilos d'Omelette parvinrent à
la porte de la maison. Ils furent traversés par cette pensée
élémentaire : « Porte » suivie d'une
autre, un peu plus compliquée : « Ouvrir ».
La masse projeta un tentacule, ouvrit la porte et sortit, puis
elle déploya des prolongements en forme de vrilles qu'elle agita
dans l'air. Son odorat lui fournit deux indications : le
monde était très grand et il était plein de choses à manger.
Dans un état d'âme apparenté à la félicité, l'Omelette se déroula
le long de l'escalier. Quand elle sortit dans la rue, elle avait
dévoré six voisins, deux chiens, un chat, le canari de la vieille
dame du deuxième – la vieille dame était un peu racornie,
et elle l'avait laissée de côté – un vendeur d'assurances
à domicile ainsi que le facteur. Maintenant, elle pesait 580
kilos, elle avait des idées assez claires et puis elle disposait
d'un projet pour l'avenir : dévorer toutes ces créatures
délicieuses, tous les êtres à deux pattes qu'il y avait dans
le monde, après quoi elle penserait à autre chose.
FIN