Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Rouge pétrole, colère noire…
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Les dinosaures de ma génération,
peu nombreux, heureusement pour les autres, se souviennent de ce qui, à
l’époque, leur sautait immanquablement aux yeux, de la «Une» d’ El
Moudjahid tous les 24 février. Barrant la première page, la manchette
tonitruait : «Naissance de l’UGTA en 1956», «Nationalisation des
hydrocarbures en 1971». Puis suivait un de ces titres ronflant comme on
savait en forger dans les secrétariats de rédaction de la révolution en
papier.
D’accord ou pas avec la ligne de Boumediene, impossible de
couper à cette incantation. Le soir, au JT de 20 h, gaâda nationale
autour de la direction révolutionnaire pour une partie de franche
rigolade, la voix affectée du présentateur convertissait en bande
sonore ce que le journal du matin, étalait, en encre baveuse. Toute
misère et libertés cessantes, nous étions sommés d’écouter en boucle,
véritable lasso, cette emphase vigoureuse et tonitruante, ponctuée de
superlatifs révolutionnaires. Pour tout dire, on en avait ras les
tympans de ce chewing- gum régénérable. Plus tu essayais de t’en
dépêtrer, plus tu en avais sur toi. C’était «proprement » désespérant !
Aujourd’hui, dans le pluralisme de la presse écrite et audiovisuelle
obtenu grâce aux antennes satellitaires et à Internet, on a du mal à
imaginer quelle était la pesanteur d’un discours unique martelé comme
la vérité révélée. Matin et soir, tous les jours, et encore chaque
jour, c’était la même rengaine : la propagande avalait l’information et
gare à ceux qui avaient l’outrecuidance de ricaner. Si cette technique
impitoyable d’occupation de l’espace de l’information par la propagande
a disparu avec le système de parti unique qui lui était propice, elle
ne l’a fait que partiellement. On peut encore s’en faire une idée avec
notre télé nationale. C’est le dernier musée où on peut écouter
pareilles sornettes. Si les noms et les dates ont changé, le principe
reste le même : décalage frisant le grotesque ! Le 24 février qui nous
était servi comme plat du jour, unique et non échangeable au temps de
«marche avec moi ou crève», a besoin pourtant aujourd’hui d’être
rappelé. Autre temps, autre sens ! Tu vois bien que si le décor n’est
pas le même, les acteurs, eux, n’ont pas beaucoup changé même s’ils
tiennent des rôles opposés aux petits jeux de soldats de la révolution
qu’ils affectionnaient alors. Souvent, ceux-là mêmes qui nous
rebattaient les oreilles avec le nécessaire combat contre les forces de
l’argent et de la domination des masses nous serinent à présent, à
partir d’autres tribunes, plus huppées, combien c’est ringard d’exiger
que l’UGTA revienne aux travailleurs, défendant leurs droits. Tu parles
encore de syndicats, c’est de la préhistoire, ça ! Préhistorique aussi
ceci : la nationalisation des hydrocarbures, c’est le recouvrement
d’une souveraineté aussi indiscutable que l’était — et le demeure —
l’indépendance nationale. C’est comme si la débâcle du socialisme
devant le néo-libéralisme belliqueux, débridé et triomphant devait
entraîner une plus grande paupérisation de ceux qui sont déjà pauvres,
conséquence de l’arbitrage de l’Etat en faveur de la prédation. Elle
devait aussi faire tomber en désuétude les instruments syndicaux,
politiques, institutionnels et même conceptuels, garants de la justice
sociale et de la souveraineté, sans lesquelles, une société vit sous
l’épée de Damoclès de la violence, et un pays, de la désagrégation.
C’est maintenant que l’Algérie dérive comme cette «arche à vau-l’eau»
décrite par Tahar Djaout, sans cap et sans capitaine, flottant au
hasard des intérêts des requins, que des repères comme le 24 février
recouvrent toute leur force symbolique. Il faut juste rappeler qu’en
1956, Aïssat Idir et ses camarades créaient une organisation syndicale
dans le but de défendre les intérêts des travailleurs. C’était, à
l’époque, un acte d’une grande signification puisque le nationalisme en
guerre contre le colonialisme se souciait d’associer les travailleurs
au combat pour une double libération, la leur et celle du pays, dans le
but d’instaurer une république sociale. Si aujourd’hui la glorieuse
UGTA n’est plus qu’une caricature obéissant au doigt et à l’œil au
maître œuvrant dans le sens des intérêts contraires à ceux des
travailleurs, c’est que le fleuve a été détourné. Si ça massacre
l’image de ses dirigeants actuels, ça rehausse d’autant plus celle
d’Aïssat Idir et ses compagnons dont il faut célébrer la qualité de
l’engagement et le courage. Kif kif pour les hydrocarbures ! Le rappel
de la décision courageuse prise par Boumediene le 24 février 1971
devant les militants de l’UGTA (le symbole est évident) est d’autant
plus indispensable que nous avons frôlé, il y a quelques mois, la
dénationalisation, c'est-à-dire tout simplement l’abandon par l’Algérie
d’une partie de cette souveraineté âprement arrachée. La corruption
morale et politique du nationalisme grimé a atteint ce paroxysme
lorsqu’un président de l’APN est allé jusqu’à comparer aux
moudjahidine, les députés qui votent la vente du sous-sol de leur pays
aux Américains. Non, tu ne rêves pas ! La décision de Boumediene, outre
qu’elle flattait la dignité nationale, ce qui n’était pas forcément une
mauvaise chose, renforçait les intérêts de l’Algérie par rapport aux
grandes compagnies pétrolières exploitant nos réserves en hydrocarbures
comme s’il s’agissait de leur bien. Elle redessina, en interaction avec
les autres pays producteurs, une autre approche des relations
internationales autour des questions de l’énergie. Le pétrole devenait
une arme. Pas toujours entre de bonnes mains, certes, mais nos pays
cessaient d’être de simples gisements où les autres venaient puiser
comme bon leur semblait en abandonnant des clopinettes aux autochtones.
Alors, oui, le 24 février a du sens. Tant que l’UGTA restera un
instrument domestique entre les mains de qui tu sais, tant que des
marchands insatiables voudront brader jusqu'à notre sous-sol, il faudra
rappeler qu’il n’en a pas toujours été de même dans ce pays. Il fut un
temps où seul le pouvoir parlait, fort et sans être contredit, un temps
où on entendait au point d’en avoir la nausée, les mêmes slogans, mais
au moins, le pays avait une colonne vertébrale. Te souviens-tu de cette
formule de Boumediene qualifiant le pétrole algérien de rouge à cause
du sang de nos martyrs ? La formule était, à l’époque, forte de café.
Mais avec les prédateurs qui se trouvent aux commandes aujourd’hui,
d’où qu’ils viennent, en interne comme à l’internationale, elle revêt
toute sa couleur.
A. M.
Rouge pétrole, colère noire…
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Les dinosaures de ma génération,
peu nombreux, heureusement pour les autres, se souviennent de ce qui, à
l’époque, leur sautait immanquablement aux yeux, de la «Une» d’ El
Moudjahid tous les 24 février. Barrant la première page, la manchette
tonitruait : «Naissance de l’UGTA en 1956», «Nationalisation des
hydrocarbures en 1971». Puis suivait un de ces titres ronflant comme on
savait en forger dans les secrétariats de rédaction de la révolution en
papier.
D’accord ou pas avec la ligne de Boumediene, impossible de
couper à cette incantation. Le soir, au JT de 20 h, gaâda nationale
autour de la direction révolutionnaire pour une partie de franche
rigolade, la voix affectée du présentateur convertissait en bande
sonore ce que le journal du matin, étalait, en encre baveuse. Toute
misère et libertés cessantes, nous étions sommés d’écouter en boucle,
véritable lasso, cette emphase vigoureuse et tonitruante, ponctuée de
superlatifs révolutionnaires. Pour tout dire, on en avait ras les
tympans de ce chewing- gum régénérable. Plus tu essayais de t’en
dépêtrer, plus tu en avais sur toi. C’était «proprement » désespérant !
Aujourd’hui, dans le pluralisme de la presse écrite et audiovisuelle
obtenu grâce aux antennes satellitaires et à Internet, on a du mal à
imaginer quelle était la pesanteur d’un discours unique martelé comme
la vérité révélée. Matin et soir, tous les jours, et encore chaque
jour, c’était la même rengaine : la propagande avalait l’information et
gare à ceux qui avaient l’outrecuidance de ricaner. Si cette technique
impitoyable d’occupation de l’espace de l’information par la propagande
a disparu avec le système de parti unique qui lui était propice, elle
ne l’a fait que partiellement. On peut encore s’en faire une idée avec
notre télé nationale. C’est le dernier musée où on peut écouter
pareilles sornettes. Si les noms et les dates ont changé, le principe
reste le même : décalage frisant le grotesque ! Le 24 février qui nous
était servi comme plat du jour, unique et non échangeable au temps de
«marche avec moi ou crève», a besoin pourtant aujourd’hui d’être
rappelé. Autre temps, autre sens ! Tu vois bien que si le décor n’est
pas le même, les acteurs, eux, n’ont pas beaucoup changé même s’ils
tiennent des rôles opposés aux petits jeux de soldats de la révolution
qu’ils affectionnaient alors. Souvent, ceux-là mêmes qui nous
rebattaient les oreilles avec le nécessaire combat contre les forces de
l’argent et de la domination des masses nous serinent à présent, à
partir d’autres tribunes, plus huppées, combien c’est ringard d’exiger
que l’UGTA revienne aux travailleurs, défendant leurs droits. Tu parles
encore de syndicats, c’est de la préhistoire, ça ! Préhistorique aussi
ceci : la nationalisation des hydrocarbures, c’est le recouvrement
d’une souveraineté aussi indiscutable que l’était — et le demeure —
l’indépendance nationale. C’est comme si la débâcle du socialisme
devant le néo-libéralisme belliqueux, débridé et triomphant devait
entraîner une plus grande paupérisation de ceux qui sont déjà pauvres,
conséquence de l’arbitrage de l’Etat en faveur de la prédation. Elle
devait aussi faire tomber en désuétude les instruments syndicaux,
politiques, institutionnels et même conceptuels, garants de la justice
sociale et de la souveraineté, sans lesquelles, une société vit sous
l’épée de Damoclès de la violence, et un pays, de la désagrégation.
C’est maintenant que l’Algérie dérive comme cette «arche à vau-l’eau»
décrite par Tahar Djaout, sans cap et sans capitaine, flottant au
hasard des intérêts des requins, que des repères comme le 24 février
recouvrent toute leur force symbolique. Il faut juste rappeler qu’en
1956, Aïssat Idir et ses camarades créaient une organisation syndicale
dans le but de défendre les intérêts des travailleurs. C’était, à
l’époque, un acte d’une grande signification puisque le nationalisme en
guerre contre le colonialisme se souciait d’associer les travailleurs
au combat pour une double libération, la leur et celle du pays, dans le
but d’instaurer une république sociale. Si aujourd’hui la glorieuse
UGTA n’est plus qu’une caricature obéissant au doigt et à l’œil au
maître œuvrant dans le sens des intérêts contraires à ceux des
travailleurs, c’est que le fleuve a été détourné. Si ça massacre
l’image de ses dirigeants actuels, ça rehausse d’autant plus celle
d’Aïssat Idir et ses compagnons dont il faut célébrer la qualité de
l’engagement et le courage. Kif kif pour les hydrocarbures ! Le rappel
de la décision courageuse prise par Boumediene le 24 février 1971
devant les militants de l’UGTA (le symbole est évident) est d’autant
plus indispensable que nous avons frôlé, il y a quelques mois, la
dénationalisation, c'est-à-dire tout simplement l’abandon par l’Algérie
d’une partie de cette souveraineté âprement arrachée. La corruption
morale et politique du nationalisme grimé a atteint ce paroxysme
lorsqu’un président de l’APN est allé jusqu’à comparer aux
moudjahidine, les députés qui votent la vente du sous-sol de leur pays
aux Américains. Non, tu ne rêves pas ! La décision de Boumediene, outre
qu’elle flattait la dignité nationale, ce qui n’était pas forcément une
mauvaise chose, renforçait les intérêts de l’Algérie par rapport aux
grandes compagnies pétrolières exploitant nos réserves en hydrocarbures
comme s’il s’agissait de leur bien. Elle redessina, en interaction avec
les autres pays producteurs, une autre approche des relations
internationales autour des questions de l’énergie. Le pétrole devenait
une arme. Pas toujours entre de bonnes mains, certes, mais nos pays
cessaient d’être de simples gisements où les autres venaient puiser
comme bon leur semblait en abandonnant des clopinettes aux autochtones.
Alors, oui, le 24 février a du sens. Tant que l’UGTA restera un
instrument domestique entre les mains de qui tu sais, tant que des
marchands insatiables voudront brader jusqu'à notre sous-sol, il faudra
rappeler qu’il n’en a pas toujours été de même dans ce pays. Il fut un
temps où seul le pouvoir parlait, fort et sans être contredit, un temps
où on entendait au point d’en avoir la nausée, les mêmes slogans, mais
au moins, le pays avait une colonne vertébrale. Te souviens-tu de cette
formule de Boumediene qualifiant le pétrole algérien de rouge à cause
du sang de nos martyrs ? La formule était, à l’époque, forte de café.
Mais avec les prédateurs qui se trouvent aux commandes aujourd’hui,
d’où qu’ils viennent, en interne comme à l’internationale, elle revêt
toute sa couleur.
A. M.