ENSEIGNEMENT DES LANGUES ETRANGERES EN ALGERIE

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    belkis


    Date d'inscription : 05/01/2010

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    Message par belkis Mar 27 Avr - 15:53

    voici une nouvelle intitulée « Le train perdu ».





    Tiphaigne Hoof, le chef de gare, agita à bout de bras son fanal et cria par habitude « En arrière les voyageurs » tandis que le train 1815, gémissant de tous ses freins serrés, entrait en gare.

    Par habitude ; car il n’y avait pas un seul voyageur sur le quai. Pas un seul ; Tiphaigne Hoof, d’un coup d’œil, le constata, non sans regret. « Ces sacrés trains de nuit ! grogna-t-il ; jamais un chat. »

    Le train, cependant, avait stoppé. Tiphaigne Hoof, homme méticuleux, vérifia d’abord les signaux de queue, histoire d’être bien sûr que nul wagon ne fût resté à la dérive. Puis il marcha le long des quatre voitures – un petit train ! – du fourgon. Le fanal promené au ras du trottoir, éclairait les essieux, les châssis et les attelages. Suivant le chef de gare, l’homme d’équilibre frappait chaque roue d’un coup de marteau, pour éprouver le métal au son.

    A la hauteur des machines, Tiphaigne Hoof s’arrêta pour souhaiter le bonsoir au mécanicien. Et le mécanicien répondit à Tiphaigne Hoof qu’il faisait froid – bougrement.

    « Ces sacrés trains de nuit ! » redit le chef sympathique.

    Et les trois minutes d’arrêt écoulées, il cria par habitude : « En voiture ! » avant de donner le coup de sifflet règlementaire. Mais, soudain, il resta bouche bée ; il aurait juré, l’instant d’avant, que le quai, d’un bout à l’autre était désert ; et voilà que deux voyageurs y avaient surgi comme d’une trappe ! Deux voyageurs, un très grand, un très petit, tous deux prêts à monter en wagon.

    « En voiture ! » répéta tout de même Tiphaigne Hoof, criant plus fort. Et il s’avança car ces deux voyageurs ne se hâtaient point.

    En vérité, je vous dis, c’étaient deux drôles des voyageurs ! Tiphaigne Hoof ahuri déjà de leur apparition subite et un rien mystérieuse, écarquilla les yeux en les voyant de près.

    Le petit, très petit, n’avait rien de trop extraordinaire dans la figure, sauf qu’il semblait aussi vieux que le Juif errant, et que ses cheveux, longs à la mode d’il y a cent ans, lui pendaient plus bas que le col. Son accoutrement était tout à fait invraisemblable : cela comprenait un pantalon bizarre, serré aux genoux comme une culotte, des souliers à boucles, une sorte d’habit-redingotte à boutons d’argent, dont les larges basques bouffaient comme un jupon.

    Ajoutez un chapeau de castor, bossué si singulièrement qu’on aurait dit un tricorne. Et le tout sentait le moisi à suffoquer. Une canne à pomme d’or parachevait la défroque, une canne plus haute que l’homme. Il s’y appuyait en la serrant à deux mains.

    L’autre voyageur, le grand – très grand – était beaucoup, beaucoup plus étrange encore ; et en le considérant, Tiphaigne Hoof, chef de gare, se sentit gêné et peureux. C’était une longue silhouette tout enveloppée d’un long manteau pareil à une draperie ou à un linceul, lequel manteau traînait à terre et n’avait ni forme ni couleur qu’on pût préciser. Un capuchon – un capuchon ou une cagoule ? – cachait la tête. On ne voyait que deux yeux caves et une barbe blanche de deux pieds. Une main décharnée sortait du manteau, et touchait du bout de ses doigts blafards un bras du diable à bagages, oublié là par l’homme d’équipe – oublié bien mal à propos, pensa plus tard Tiphaigne Hoof.
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    belkis


    Date d'inscription : 05/01/2010

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    Message par belkis Mar 27 Avr - 15:55

    Oui, oui, c’étaient deux drôles de voyageurs. Mais on n’avait guère le temps d’y penser, parce qu’il était l’heure du départ passée.

    « En voiture », réitéra Tiphaigne Hoof, énergiquement.

    Alors, le vieux petit voyageur se décida. Il plia sur les jarrets et sauta, par-dessus le marche-pied, dans le wagon, avec une agilité tout à fait bizarre – cependant que son compagnon, le long voyageur à longue barbe blanche, demeurait encore immobile sur le quai, sa main touchant toujours le diable oublié par l’homme d’équipe.

    « Allons, monsieur, montez », dit Tiphaigne Hoof ; et il s’approcha pour aider à l’ascension.

    Mais le petit vieux, déjà en wagon, cria tout à coup, d’une fantastique voix de fausset qui secoua comme des cordes de cloches tous les nerfs de Tiphaigne Hoof : « Ne le touchez pas, ha, ha, ha ! »

    Et Tiphaigne Hoof, effaré, recula de trois sauts. Ce qui fit que l’homme qu’il ne fallait pas toucher monta tout seul, comme il le put.

    Tiphaigne Hoof se rappela plus tard, avoir entrevu dans les plis flottants du manteau-linceul quelque chose d’aigu et de bleuâtre qui luisait comme un fer de faux…

    La portière claqua, et Tiphaigne Hoof donna le signal.

    La machine lança son hululement sinistre ; la vapeur fusa des cylindres ; les pistons poussèrent les bielles, et le train partit. Hors de la gare, la nuit le mangea : on n’en vit plus rien. Seul le triangle rouge des trois fanaux d’arrière, réfléchi sur l’acier des rails, scintilla encore une minute. Puis cela même disparut.

    Alors, Tiphaigne Hoof, chef de gare, effaça le signal de cantonnement, puis le remit à l’arrêt, pour couvrir le train parti, comme le prescrit l’article 7 du règlement. Après quoi, il se rendit au canton précédentVoie libre, et annonça le train au prochain poste. Tout était en ordre.

    Une idée cependant tracassait Tiphaigne Hoof.

    Il appela le receveur.

    « Japp, où allaient-ils donc les deux voyageurs de tantôt ?

    - Quels voyageurs, chef ?

    - Les deux… le grand et le petit… ceux du train 1815.

    - Je n’ai pas donné de billet pour le train 1815, chef ! J’ai vu personne, ni grand, ni petit… »

    Tiphaigne arrondit la bouche. Mais avant qu’il eût fait : « Ho », la voix de l’homme d’équipe ébranla toute la gare.

    « Chef, chef ! Ah bien par exemple ! Chef ! »

    Tiphaigne Hoof se précipita : « Ne gueulez donc pas comme ça ! Qu’est-ce qui arrive ?

    - Chef ! Bon Dieu de bon Dieu Seigneur ! Regardez donc ça ! »

    Ca, c’était le diable à bagages. Tiphaigne Hoof regarda, et, stupide, se tut…

    Le diable à bagages, honnête et robuste brouette de fer forgé, neuve l’instant d’avant, n’était plus qu’un débris de ferraille, usé, rongé, rouillé – oh rouillé comme s’il eût séjourné cent ans au fond de la mer ! Les roues disloquées, les pieds tordus, les châssis en loques, tout se confondait en un décombre couleur de brique. Et un bras entier manquait, celui-là même qu’avait touché l’étrange voyageur à barbe blanche. Là où ce bras avait été, un peu de poussière rougeâtre gisait…

    Tiphaigne Hoof, muet, passa sur son front moite une main qui tremblait.

    Mais soudain, une secousse de tout son être le fit bondir – le fit bondir vers l’appareil de block : un pressentiment l’avait traversé comme une balle. Et devant l’appareil, il recula, terrifié : il y avait, l’œil de bœuf en faisait foi – il y avait plus d’un quart d’heure que le train 1815 était parti, et le guichet supérieur, qu’on manœuvre du poste au-delà, montrait toujours son voyant rouge : Voie occupée.

    Le train 1815 n’avait donc pas encore atteint ce poste au-delà, et l’horaire témoignait qu’il eût dû le dépasser dès la neuvième minute !

    Tiphaigne Hoof, le cœur comme dans un étau, lança le signal règlementaire : « Dernier train annoncé a-t-il dépassé votre poste ! »

    La réponse vint, immédiate : « Dernier train annoncé n’a pas dépassé mon poste. »

    Derrière le chef de gare, le receveur et l’homme d’équipe, pâles comme un linge, lurent la phrase menaçante.

    « Il y a détresse », prononça le receveur, parlant bas comme dans une chambre mortuaire.

    « Non, non et non ! » cria Tiphaigne Hoof, luttant contre sa propre épouvante. « Il n’y a pas détresse, pas encore. Il y a marche lente, voilà tout… »

    Mais l’instant d’après, son énergie fauchée, lui-même lançait sur tout le réseau le signal définitif qui annonce les catastrophes : « Train en détresse sur voie 1 », quoique le règlement ordonne de ne transmettre ce signal que sur l’ordre écrit du conducteur-chef du train en détresse. Oui. Mais déjà, Tiphaigne Hoof savait bien, était sûr, trop sûr ! que le conducteur-chef du train 1815 n’était plus en état de donner aucun ordre, écrit ou non.

    Et on attendit dans la terreur.

    Quinze minutes se traînèrent. La machine de secours envoyée par la grande gare, passa en sifflant. Quinze autres minutes suivirent.

    Et alors, une chose prodigieuse, fantastique, inouïe, une chose que chef de gare passé ou futur n’a vue jamais ni ne verra – survint : le guichet de l’appareil de block pivota, découvrant le voyant blanc : « Voie libre », en même temps que la sonnerie du poste au-delà avertissait : « Machine de secours a dépassé mon poste. »

    Vous comprenez ? La machine de secours, lancée sur la voie du train 1815, derrière le train 1815, avait dépassé le poste au-delà, que le train 1815, lui, n’avait pas atteint ! Et la voie était libre ! Ni déraillement, ni tamponnement. Rien du tout. Rien. Simplement ceci, impossible et pourtant constaté : que le train 1815 n’était ni au-delà, ni en deçà du poste de block, et, par conséquent, qu’il n’y avait plus de train 1815…

    Tiphaigne Hoof, chef de gare, ne prononça pas une syllabe. Il alla seulement regarder, très longuement, ce qui restait du diable à bagages. Le débris s’était émietté durant la dernière demi-heure. Il ne restait maintenant qu’un petit tas de rouille.

    Personne, jamais, n’a plus ouï parler du train 1815. Le mystère est resté entier. Les recherches ultérieures – au bas des talus, dans la rivière et ailleurs – n’ont fait découvrir nul vestige. Une enquête spéciale, menée dans le plus grand secret, n’a donné aucun résultat.

    Tiphaigne Hoof, pourtant, a constaté, lui, que du kilomètre 2304 au kilomètre 2307, les cailloux du ballast (morceaux de pierre placés sous les traverses d’une voie ferrée), gris naguère, sont aujourd’hui rougeâtres et comme poudrés d’oxyde de fer.

    Tiphaigne Hoof a constaté cela. Mais, bien entendu, il n’en a jamais ouvert la bouche à âme qui vive non plus que des deux voyageurs mystérieux, non plus que du diable disparu, non plus que de Tiphaigne Hoof ne parle jamais du train 1815. Il ne s’est confié – un jour qu’il était fabuleusement ivre – qu’à moi.





    Claude Farrère, « Le Train perdu », nouvelle publiée en 1928 dans L’Autre côté, Contes insolites, éditions Flammarion.

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