voici une nouvelle intitulée « Le train perdu ».
Tiphaigne Hoof, le chef de gare, agita à bout de bras son fanal et cria par habitude « En arrière les voyageurs » tandis que le train 1815, gémissant de tous ses freins serrés, entrait en gare.
Par habitude ; car il n’y avait pas un seul voyageur sur le quai. Pas un seul ; Tiphaigne Hoof, d’un coup d’œil, le constata, non sans regret. « Ces sacrés trains de nuit ! grogna-t-il ; jamais un chat. »
Le train, cependant, avait stoppé. Tiphaigne Hoof, homme méticuleux, vérifia d’abord les signaux de queue, histoire d’être bien sûr que nul wagon ne fût resté à la dérive. Puis il marcha le long des quatre voitures – un petit train ! – du fourgon. Le fanal promené au ras du trottoir, éclairait les essieux, les châssis et les attelages. Suivant le chef de gare, l’homme d’équilibre frappait chaque roue d’un coup de marteau, pour éprouver le métal au son.
A la hauteur des machines, Tiphaigne Hoof s’arrêta pour souhaiter le bonsoir au mécanicien. Et le mécanicien répondit à Tiphaigne Hoof qu’il faisait froid – bougrement.
« Ces sacrés trains de nuit ! » redit le chef sympathique.
Et les trois minutes d’arrêt écoulées, il cria par habitude : « En voiture ! » avant de donner le coup de sifflet règlementaire. Mais, soudain, il resta bouche bée ; il aurait juré, l’instant d’avant, que le quai, d’un bout à l’autre était désert ; et voilà que deux voyageurs y avaient surgi comme d’une trappe ! Deux voyageurs, un très grand, un très petit, tous deux prêts à monter en wagon.
« En voiture ! » répéta tout de même Tiphaigne Hoof, criant plus fort. Et il s’avança car ces deux voyageurs ne se hâtaient point.
En vérité, je vous dis, c’étaient deux drôles des voyageurs ! Tiphaigne Hoof ahuri déjà de leur apparition subite et un rien mystérieuse, écarquilla les yeux en les voyant de près.
Le petit, très petit, n’avait rien de trop extraordinaire dans la figure, sauf qu’il semblait aussi vieux que le Juif errant, et que ses cheveux, longs à la mode d’il y a cent ans, lui pendaient plus bas que le col. Son accoutrement était tout à fait invraisemblable : cela comprenait un pantalon bizarre, serré aux genoux comme une culotte, des souliers à boucles, une sorte d’habit-redingotte à boutons d’argent, dont les larges basques bouffaient comme un jupon.
Ajoutez un chapeau de castor, bossué si singulièrement qu’on aurait dit un tricorne. Et le tout sentait le moisi à suffoquer. Une canne à pomme d’or parachevait la défroque, une canne plus haute que l’homme. Il s’y appuyait en la serrant à deux mains.
L’autre voyageur, le grand – très grand – était beaucoup, beaucoup plus étrange encore ; et en le considérant, Tiphaigne Hoof, chef de gare, se sentit gêné et peureux. C’était une longue silhouette tout enveloppée d’un long manteau pareil à une draperie ou à un linceul, lequel manteau traînait à terre et n’avait ni forme ni couleur qu’on pût préciser. Un capuchon – un capuchon ou une cagoule ? – cachait la tête. On ne voyait que deux yeux caves et une barbe blanche de deux pieds. Une main décharnée sortait du manteau, et touchait du bout de ses doigts blafards un bras du diable à bagages, oublié là par l’homme d’équipe – oublié bien mal à propos, pensa plus tard Tiphaigne Hoof.
Tiphaigne Hoof, le chef de gare, agita à bout de bras son fanal et cria par habitude « En arrière les voyageurs » tandis que le train 1815, gémissant de tous ses freins serrés, entrait en gare.
Par habitude ; car il n’y avait pas un seul voyageur sur le quai. Pas un seul ; Tiphaigne Hoof, d’un coup d’œil, le constata, non sans regret. « Ces sacrés trains de nuit ! grogna-t-il ; jamais un chat. »
Le train, cependant, avait stoppé. Tiphaigne Hoof, homme méticuleux, vérifia d’abord les signaux de queue, histoire d’être bien sûr que nul wagon ne fût resté à la dérive. Puis il marcha le long des quatre voitures – un petit train ! – du fourgon. Le fanal promené au ras du trottoir, éclairait les essieux, les châssis et les attelages. Suivant le chef de gare, l’homme d’équilibre frappait chaque roue d’un coup de marteau, pour éprouver le métal au son.
A la hauteur des machines, Tiphaigne Hoof s’arrêta pour souhaiter le bonsoir au mécanicien. Et le mécanicien répondit à Tiphaigne Hoof qu’il faisait froid – bougrement.
« Ces sacrés trains de nuit ! » redit le chef sympathique.
Et les trois minutes d’arrêt écoulées, il cria par habitude : « En voiture ! » avant de donner le coup de sifflet règlementaire. Mais, soudain, il resta bouche bée ; il aurait juré, l’instant d’avant, que le quai, d’un bout à l’autre était désert ; et voilà que deux voyageurs y avaient surgi comme d’une trappe ! Deux voyageurs, un très grand, un très petit, tous deux prêts à monter en wagon.
« En voiture ! » répéta tout de même Tiphaigne Hoof, criant plus fort. Et il s’avança car ces deux voyageurs ne se hâtaient point.
En vérité, je vous dis, c’étaient deux drôles des voyageurs ! Tiphaigne Hoof ahuri déjà de leur apparition subite et un rien mystérieuse, écarquilla les yeux en les voyant de près.
Le petit, très petit, n’avait rien de trop extraordinaire dans la figure, sauf qu’il semblait aussi vieux que le Juif errant, et que ses cheveux, longs à la mode d’il y a cent ans, lui pendaient plus bas que le col. Son accoutrement était tout à fait invraisemblable : cela comprenait un pantalon bizarre, serré aux genoux comme une culotte, des souliers à boucles, une sorte d’habit-redingotte à boutons d’argent, dont les larges basques bouffaient comme un jupon.
Ajoutez un chapeau de castor, bossué si singulièrement qu’on aurait dit un tricorne. Et le tout sentait le moisi à suffoquer. Une canne à pomme d’or parachevait la défroque, une canne plus haute que l’homme. Il s’y appuyait en la serrant à deux mains.
L’autre voyageur, le grand – très grand – était beaucoup, beaucoup plus étrange encore ; et en le considérant, Tiphaigne Hoof, chef de gare, se sentit gêné et peureux. C’était une longue silhouette tout enveloppée d’un long manteau pareil à une draperie ou à un linceul, lequel manteau traînait à terre et n’avait ni forme ni couleur qu’on pût préciser. Un capuchon – un capuchon ou une cagoule ? – cachait la tête. On ne voyait que deux yeux caves et une barbe blanche de deux pieds. Une main décharnée sortait du manteau, et touchait du bout de ses doigts blafards un bras du diable à bagages, oublié là par l’homme d’équipe – oublié bien mal à propos, pensa plus tard Tiphaigne Hoof.