TÉMOIGNAGES SUR LES MASSACRES DU 8 MAI 1945
«Ainsi fut la sauvagerie de la France coloniale»
«Les soldats français ont tiré à vue sur ceux qui avaient le drapeau algérien à la main.»
Les massacres du 8 Mai 45 sont une tâche noire pour le passé colonial français, ont estimé les participants à la conférence organisée hier, au centre de presse d’El Moudjahid, à Alger. «La France doit avoir honte pour ses crimes en Algérie», a affirmé Amar Bentoumi, ancien moudjahid. C’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), plus exactement le 8 Mai 1945, que le peuple algérien sort dans la rue pour réclamer son indépendance. L’administration coloniale française répond par les armes et réprime cette revendication dans le sang. Dans son témoignage, Bentoumi raconte que «les soldats français ont tiré à vue sur ceux qui avaient le drapeau algérien à la main», «après, c’est tous les manifestants qui ont été ciblés sans distinction», a-t-il ajouté. Le conférencier raconte aussi que, «même des prisonniers de guerre allemands et italiens ont été armés pour faire la chasse aux Algériens», et de se demander: «Pourquoi le secret défense n’est pas encore levé sur cette page de l’histoire après 65 ans?» Des enseignants universitaires, étudiants et élèves de lycée ont pris part à cette conférence initiée par l’association nationale «Machaâl Echahid», en collaboration avec le quotidien El Moudjahid. De son côté, le Dr Chawki Mostefaï est revenu sur le drapeau national, brandi pour la première fois par les Algériens lors de ces manifestations: «A cette époque, nous n’avions pas l’idée d’un drapeau national, mais c’était juste pour lever un emblème différent du drapeau français»,a-t-il raconté. Ce dernier était en 1940 membre de la direction du Parti du peuple algérien (PPA), en tant que délégué du groupe des étudiants nationalistes, alors qu’il n’avait que 21 ans.Sétif, Oran, Annaba, Guelma sont entre autres, le théâtre des massacres du colonisateur français où plus de 45.000 Algériens ont été assassinés.Selon le Dr Mostefaï, «les événements du 8 Mai 1945 ont démontré l’impossibilité de négocier avec la France», a-t-il déclaré, avant d’ajouter: «C’était les prémices pour l’accélération de la lutte armée».
166 condamnations à mort ont été prononcées, dont 33 exécutées contre les manifestants, précise-t-on. Interrogé en marge de la conférence à propos de la demande d’excuses formulée par Alger, concernant les crimes de guerre commis par la France coloniale en Algérie, Mostefaï ironise: «Le jour où l’Etat français cessera d’exiger de la Turquie la reconnaissance du génocide arménien, ce jour-là nous remercierons la France pour ses crimes commis en Algérie.» Cette conférence intervient dans un contexte marqué par une grande polémique sur le projet de loi, actuellement bloqué au niveau de l’APN, relatif à la criminalisation du colonialisme. C’est dire que la génération de la guerre d’Algérie n’est pas prête à céder sur ce point.
Enfin, le conférencier a exhorté la nouvelle génération à se souvenir des atrocités que le peuple algérien a subi durant la période coloniale, «Ce pays n’est devenu indépendant qu’après des nombreux sacrifices et des souffrances, souvenez-vous»,a-t-il conclu. (L'Expression-06.05.2010.)
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* reconnaitre le génocide … Le juriste Nicole Dreyfus a plaidé, en cette fin de semaine dans la capitale française, lors d’un Colloque sur les massacres du 8 mai 1945 pour «un appel aux citoyens français afin de reconnaître et condamner les massacres datés de ce jour en Algérie et pousser les autorités françaises à reconnaître ces crimes». La juriste, avocate des moudjahidate Baya Hocine et Djouher Akrour, a indiqué que ce nouvel appel, après celui des 12, «permettra de créer un mouvement d’opinion» et «braquer les projecteurs sur ces massacres exécutés dès le premier jour de la fin du second conflit mondial». Aussi, l’appel de «la condamnation de la torture » pratiquée par certains durant la guerre d’Algérie, lancé le 31 octobre 2000, l’avocate a reconnu que «cette démarche», menée par 12 personnalités, historiens et juristes,»a permis, dans un contexte où la question de la guerre d’Algérie était un peu oubliée, d’intéresser même le grand public sur les crimes de torture perpétrés par les paras français ». L’intervenante a comparé les crimes colonialistes en Algérie aux crimes nazis. «C’est la même chose. Ces crimes reposent sur la même discrimination. Leurs auteurs utilisaient les mêmes moyens. Ce sont exactement des crimes similaires», a-t-elle soutenu. La juriste a, également, considéré que l’État français «doit reconnaître ses crimes et manifester sa repentance», tout en ajoutant que le mot repentance «n’est pas bien accepté par des gens qui pensent que ce vocable a une connotation spiritualiste. Ils préfèrent des mots qui ont une acceptation beaucoup plus intellectuelle». «Pour moi, le mot repentance ne dérive pas de la foi mais sous-entend une question morale. Je pense que pour les massacres du 8 mai 1945, il n’y a pas lieu d’extraire la morale dans la réprobation que nous manifestons. Il faut que l’État français reconnaisse la faute et manifeste sa repentance», a-t-elle expliqué. Par ailleurs, la juriste a évoqué l’impossibilité d’engager des actions judiciaires «même si les qualifications de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre existent» car, a-t-elle souligné, «ce sont des faits qui remontent à plus de 60 ans et que leurs auteurs ont disparus» et aussi pour le fait que «les statuts du tribunal de Nuremberg précisent que les poursuites doivent être faites pour les crimes perpétrés durant la deuxième guerre mondiale. Le 8 mai 1945 marque la fin de ce conflit». Jean-Louis Planche, historien, très au fait des événements du 8 mai 45 auxquels il a consacré une étude très recherchée, a parlé des massacres effroyables qui ont duré quatre mois. Il dira que «le 1er septembre 1945, un camion s’est présenté au cimetière civil de Constantine pour décharger des cadavres encore frais dans une fosse commune. Les massacres se sont poursuivis bien après le mois de mai», en citant des archives auxquelles il a eu accès. Cet éminent historien a, également, précisé que «ces massacres étaient connus de tous. Même, par les services secrets américains présents en force à Alger». «Le bureau d’Alger de l’OSS était le plus important poste après celui de Paris. Il y avait 77 officiers et agents sur place», a-t-il précisé. Enfin, ce Colloque, premier du genre pour la Ville de Paris et en France, a été une occasion pour de nombreux historiens, chercheurs, la communauté estudiantine… de se familiariser avec ce pan de l’Histoire commune. Pour Olivier Le Cour Grandmaison, initiateur de cette manifestation, il la considère comme «un enjeu de connaissance et de reconnaissance » et constitue «un premier pas politique, symboliquement important». (Le Courrier d'Algérie- 09.05.09.)
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* La main des milices….
Mardi 8 mai 1945, c’est jour de marché à Sétif. La foule afflue des différentes localités voisines. Les uns viennent pour faire des emplettes, les autres rallient Langar, un quartier du centre-ville où est implantée la mosquée de la Gare, rebaptisée en 1962, mosquée Abou Dher El-Ghiffari. C’était le lieu de regroupement et le point de départ de la manifestation pacifique des Algériens qui désiraient s’associer aux Alliés célébrant, ce jour-là, la fin de la Seconde Guerre mondiale. A 7h30, la tension est à son paroxysme, de ce côté de la ville, qui s’avère trop exigu pour contenir une marée humaine venant de partout. Face à ce déferlement, les organisateurs de la marche invitent les participants à déposer leurs « debbous » (cannes). Cette démarche est inconvenante pour les paysans qui ne veulent, dans un premier temps, rien savoir. Les initiateurs du mouvement ont dû user de beaucoup de diplomatie pour convaincre les paysans : « Des cannes, des couteaux et quatre fusils de chasse sont récupérés », révèle Lakhdar Taârabit, un des encadreurs de la manifestation qui insiste sur le caractère pacifique de la marche. « Les scouts étaient en tête. Si on savait que la manifestation allait tourner à la tragédie, aurions-nous exposé nos enfants au danger ? Aurions-nous placé des enfants âgés de six, huit et dix ans à la tête du cortège ? Aurions-nous désarmé nos militants et sympathisants ? » Il faut préciser que l’attroupement de milliers d’Algériens qui répondent présent à l’appel des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) et du PPA (Parti du peuple algérien) intrigue la police coloniale qui dégaine à la vue de l’emblème national. L’assassinat du jeune Saâl Bouzid a été le déclencheur de la tuerie. La réaction des « indigènes » ouvre la voie au carnage. Avant de perpétrer d’indescriptibles atrocités à Amoucha, Aïn Abassa, Beni Fouda, Aïn Roua, Beni Aziz, Aïn El Kébira et Bouandas, qui ont payé un lourd tribut, l’armée coloniale ayant instauré le couvre-feu et décrété l’état de siège à Sétif, distribue des armes aux colons qui forment des milices responsables de centaines d’exécutions sommaires.
Pris par une folie meurtrière qui marque encore les mémoires des survivants, des maisons sont saccagées, des femmes sont violées, des vieillards sont égorgés par des escadrons de la mort protégés par le silence et la complicité de l’armée coloniale laquelle achève la sale besogne. Des décennies après, la plaie est toujours ouverte. Chérif Mohamedi Lhadi, cet octogénaire qui conserve sa lucidité, évoque avec minutie les souffrances endurées : « Le soir du 8 mai, aux environs de 20 heures, la police s’invite chez moi pour m’arrêter. Avant d’être transféré vers le camp de concentration de la caserne de Sétif où étaient parqués dans d’abominables conditions plus de 10 000 prisonniers, la police me tortura pendant 12 jours. Toutes les méthodes adoptées par la Gestapo ont été pratiquées par Olivieri et ses acolytes qui m’ont soumis quatre jours durant aux atroces et insoutenables épreuves de l’électricité. Celles-ci furent appliquées sur mes organes génitaux. Je n’ai en outre pas échappé à la baignoire qui consiste à y introduire la tête dans une eau sale, au moment où le corps est plié par le biais d’un bâton de bois qui retient atrocement pieds et poignets. Contrairement à d’autres détenus, mes geôliers m’ont épargné de l’insoutenable examen de la bouteille sur laquelle on faisait asseoir les captifs, dont bon nombre n’avaient rien à voir avec l’action politique. N’ayant pas supporté l’horreur, de nombreuses victimes n’ont pas tenu le coup. En plus des persécutions et des supplices, les bourreaux nous ont privés de tout aliment durant les quatre premiers jours de détention. Ne pouvant résister à la torture avec un ventre creux, certains sont devenus fous. »
Notre interlocuteur, un des encadreurs de la marche et rédacteur des slogans consignés dans les banderoles brandies, le mardi sanglant, nous parle de l’horreur vécue des mois durant à la caserne : « Le soir, les prisonniers étaient regroupés à 400 dans une écurie aménagée pour une trentaine de mulets. Serrés les uns contre les autres, dormant accroupis, à même le sol. Les plus jeunes et les plus souples s’offraient les mangeoires, un “luxe” ! C’est dans une de ces écuries qu’un vieux retraité que tout le monde appelait à Sétif ‘‘sèrgene’’ (sergent) chevalier de la Légion d’honneur et Croix de guerre, est terrassé par le typhus. Ses états de service et décorations n’ont, en fin de compte, servi à rien. Il m’est impossible d’oublier le sacrifice de Khélifa Zaâboub, un brave d’El Eulma (ex-Saint Arnaud) qui a été torturé à mort des heures durant par un tortionnaire. Massacré, le vieux dont le corps est lacéré par plein d’ecchymoses, est jeté à moitié mort dans l’écurie aux environs de 19 heures. Le torturé qui rendit l’âme à 23 heures, avait perdu son dentier. Ses organes génitaux étaient abîmés par le courant électrique. La torture qui n’avait rien à envier au style des nazis, était dirigée par le capitaine Pierson, un ex-substitut du procureur de la République. »
Pour venger ses 101 morts et mater un peuple désarmé, affamé, vivotant de surcroît dans la misère, la France, chantre des droits de l’homme, s’appuie sur l’aviation, les blindés, l’artillerie qui ont pilonné, bombardé, pillé, brûlé et attaqué des villages et montagnes, où se sont réfugiés des squelettes achevés par le typhus. Pour l’illustration, plus de 6000 paysans sont regroupés à Beni Aziz où les miliciens fusillèrent plus de 700 citoyens. Portées disparues, le sort de 100 autres personnes demeure, 64 ans après, en suspens. Selon des rescapés, cette tuerie collective se faisait par groupes de vingt personnes. Avant la fusillade, les « condamnés » qui n’ont comparu devant aucune juridiction sont contraints de creuser les fosses des autres victimes. A Aïn El Kébira où plus de 600 indigènes ont été massacrés par les légionnaires et les Sénégalais, la répression a été sanglante. Des hameaux, tels Bourgazene, Beni Bezez et bien d’autres douars, sont rasés de la carte. Le cheptel de ces hameaux est volé. Les provisions des paysans sont soit brûlées, soit confisquées. Même les élèves du collège Eugène Albertini (lycée Mohamed Kerouani), qui ont osé prendre part à la marche, n’ont pas échappé à la persécution. Les Mostéfaï Séghir, Benmahmoud Mahmoud, Maïza Mohamed Tahar, Benzine Abdelhamid, Torche Mohamed, Kateb Yacine et Zériati Abdelkader, qui ont été déchus de leurs bourses, sont, à l’instar de leurs camarades Lamri Abderahmane, Khaled Khodja Boualem, Keddad Bakhouche, Lamériben Nacerdine, Djemmame Abderrezak, Ferrani Ouamar, Cherfaoui Mohamed, Abdeslem Belaïd, Taklit (tombé au champ d’honneur durant la glorieuse Révolution de Novembre 1954) et Yanat Boualem, frappés d’exclusion (décision N°3819-3821) des effectifs. En somme, l’horreur vécue durant les mois de mai et juin 1945 hante encore et toujours les esprits des survivants et de leurs descendants qui réclament réparation : « Que la France officielle reconnaisse sa responsabilité dans ce crime contre l’humanité car il a été perpétré par son armée qui a laissé faire les milices à l’origine des centaines d’exécutions sommaires. En plus de la repentance, nous exigeons réparation », dira Abdelhamid Salakdji, président de la Fondation du 8 Mai 1945 de Sétif qui n’oublie pas…(El Watan - 09.05.09.)
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