Un ministre si conciliant
par Abed Charef
Abou Bakr Benbouzid a tenu un discours plein de bon sens à l'adresse des enseignants.
A la veille du mouvement de grève entamé mardi 16 février, le ministre de l'Education, utilisant un ton très conciliant, a exprimé son inquiétude concernant le sort des élèves, et déploré les perturbations que provoquent les grèves à répétition dans le secteur.
« Les dégâts de la grève de trois semaines lancée le 8 novembre 2009, qui a affecté le programme pédagogique, notamment les classes d'examen, ne sont pas encore rattrapés que le spectre d'une nouvelle grève est de nouveau agité », remarque le ministre, dans une lettre ouverte adressée aux enseignants.
Ces grèves provoquent « une diminution irrémédiable des capacités des élèves à faire face aux examens annoncés », ajoute M. Benbouzid. Il estime « regrettable de constater que le secteur de l'éducation nationale, un secteur aussi stratégique, nécessitant d'être à l'abri de toute perturbation et protégé par tous les acteurs de la société en vue d'assurer sa stabilité, soit continuellement contraint à faire face, de manière récurrente, à des actions aussi extrêmes que les grèves ».
Tant de bonne volonté ne peut laisser insensible. D'autant plus que le Ministre promet de tout régler avant la fin du mois. Augmentation de salaires, primes, rétroactivité des décisions, tout sera aplani dans un délai de deux semaines, jure le ministre.
Il faut bien admette dès lors que les syndicats des enseignants sont des extrémistes, des aventuriers prêts à saborder l'école algérienne pour quelques dinars de plus. Ils n'hésitent pas mettre le couteau sous la gorge à un ministre dont la disponibilité se révèle soudain exemplaire. N'a-t-il pas fait preuve de « magnanimité » lors des précédents mouvements de grève, en évitant de sanctionner les enseignants grévistes ? Il faut croire que ces enseignants sont bien ingrats, eux qui soumettent leur ministre à tant de pression.
Récapitulons. Les enseignants ont lancé, en novembre, une grève très dure, pour une exprimer une colère que seul le ministère de l'éducation n'avait pas sentie. Résultat : le ministère de l'éducation a feint d'ignorer la grève dans un premier temps, avant de négocier avec
l'UGTA, alors que le mouvement de protestation était mené par d'autres syndicats. Finalement, quand le Ministère s'et rendu compte de l'inutilité de ses manœuvres, il « s'est engagé, par un communiqué rendu public le 15 novembre 2009, à répondre favorablement aux revendications de revalorisation des salaires avec un effet rétroactif applicable à partir de janvier 2008 ». Autrement dit, le ministère a cédé sur toute la ligne après avoir méprisé les enseignants.
Cela fait trois mois que le ministère a accepté de satisfaire les revendications des enseignants. Pourquoi ne les avoir pas appliquées depuis ? Les syndicats pensent que le Ministère n'avait pas l'intention de satisfaire leurs revendications, et qu'il voulait juste gagner du temps. C'est pour cela qu'ils exigent, cette fois-ci, soit l'application concrète de ces mesures, soit des garanties écrites avant de mettre fin à la grève. En langage clair, cela signifie qu'ils ne croient pas aux promesses du ministre, considéré comme non crédible.
Pourtant, les enseignants ont peut-être tort. Leur démarche ne tient pas compte de deux facteurs. D'abord, le Ministère ne sait pas quoi faire. Il n'a pas de « plan » ni répondre favorablement aux enseignants, ni pour refuser leurs doléances. M. Benbouzid navigue à vue, avec une hantise : il ne veut pas avoir à prendre des décisions, de peur de déplaire aux « décideurs ».
Second facteur dont les syndicats d'enseignants ne tiennent pas compte, l'administration du Ministère est dans l'incapacité de réfléchir, de préparer et de d'exécuter ce que décide un Ministre à qui il viendrait, par miracle, l'idée d'innover. Cette administration a appris à dire non, à imposer son point de vue par sa seule force d'inertie. Elle a réussi à allier absence de stratégie et incompétence. Elle ne veut pas changer. Pour le Ministère de l'éducation, un enseignant gréviste est un ennemi, un agitateur, un perturbateur. Il faut donc l'éliminer ou, à défaut, le tromper. Ce qui suscite évidemment une grande méfiance de la part des enseignants. Qu'est-ce qui leur garantit, aujourd'hui, que le Ministère va satisfaire leurs revendications en deux semaines alors qu'il ce ne l'a pas fait en trois mois ?
D'autre part, si le ministère décide de satisfaire les revendications des enseignants avec effet rétroactif depuis janvier 2008, cela suppose que les enseignants étaient lésés depuis cette date, et que leurs grèves successives étaient justifiées. A l'inverse, le ministère était dans l'erreur. C'est donc ce même ministère qui porte la responsabilité des grèves à répétition, et c'est lui qui a fait du tort aux élèves.
De là à dire que le ministère incite, malgré lui, les enseignants à faire la grève, il y a un pas, qu'on peut franchir. D'autant plus que le Ministère fait beaucoup de concessions pendant les grèves, et se montre intraitable le reste de l'année. Comme s'il voulait prouver aux enseignants que seule l'épreuve de force peut le faire plier.
Faut-il rappeler l'évidence ? Un élève qui entre aujourd'hui à l'école sera un travailleur dans quinze ans, et sera encore actif dans soixante ans. Un ministre qui négocie avec l'UGTA quand la grève est menée par d'autres syndicats peut-il assurer à cet élève l'enseignement adéquat ? C'est peut-être là que réside la seule erreur des syndicats d'enseignants : ils pensent négocier avec un ministère responsable, alors qu'ils ont affaire à un monstre qui a oublié depuis longtemps pourquoi il a été créé.
Ps: sans commentaire !Monsieur le journaliste Abed Charef a très bien compris !!