Comment «écrire» une demande d'augmentation de salaire
par Kamel Daoud
C'est la nouvelle question nationale : «comment faire augmenter son salaire ?». Elle vient après celle des chômeurs «comment avoir un salaire ?». La réponse la plus logique est celle de «il faut travailler plus», manière de dire «non». C'est ce que servent les patrons au regard fuyant de l'employé. A la NASA comme au Quotidien d'Oran, comme l'a testé le chroniqueur. C'est aussi une bonne réponse dans un monde juste et dans un pays normalement constitué, avec des mains qui savent tenir une pioche, des pieds qui ont un destin et un cerveau capable d'arrondir la lune avec de bonnes mathématiques. Ce n'est pas le cas pour nous : la relation entre l'effort et le salaire a été pervertie très tôt par le départ du colon, la découverte du pétrole, le socialisme surtout et la reconduction du FLN après la libération. Tout travail ne mérite pas salaire et tout salaire n'est pas l'expression d'une récolte. Du coup, le débat est posé avec de fausses prémices et l'idée de base est que personne ne mérite son salaire dans ce pays et donc tous ont droit à des salaires qu'ils demandent. L'autre idée de base est qu'en Algérie il y a ceux qui sont trop payés et ceux qui sont mal payés. Les gens qui sont «payés» tout court n'existent pas. Ceci étant dit, reste toujours la question «comment faire augmenter son salaire aujourd'hui ?». Pour cela, le régime politique actuel a fini par faire accepter une seule méthode : celle de l'arraché. Il faut pour être bien payé, non seulement travailler, mais surtout protester, faire grève, résister, persister, signer et endurer. Le salaire n'a pas rapport avec l'effort mais avec la force. Il ne suffit pas d'être honnête si on n'est pas fort. Rien ne sert de travailler si on n'impose pas son salaire à son employeur.
Le but de cette longue démonstration est d'aboutir à démontrer un vice de base : la fiction de l'économie nationale. C'est parce que l'économie est fictive et est bâtie sur le pipeline et pas sur le muscle et la fenaison, que le salaire est une question de dentition et de vitesse des jambes et pas une équation entre ce que l'on produit et ce que l'on demande. En plus clair, dans une économie de rente, la méthode est celle de la débrouillardise, du rapport de force et pas celle du calcul. En plus clair encore, puisque la richesse nationale est un gâteau, son partage est celui du bien vacant. C'est aussi conclure que si notre régime était un Etat régulateur, dans une économie libérale réelle, la politique des salaires aurait été celle de la plus-value à répartir. Ce n'est pas le cas : l'économie est étatique tout en étant fictive, le salaire se fait populaire tout en étant sans utilité. Tout le monde est convaincu en Algérie que son salaire est en dessous de ce que a promis l'indépendance et de ce que vaut le pétrole parce que le régime est tellement surpayé que tout le reste du peuple apparaît pauvre. Et chacun calcule sa paie sur la base du baril volé et pas celui du bénéfice de la fin d'année. Ce n'est pas la faute du peuple, mais de son Etat. Même dans le «privé», la règle de base est pervertir par des détournements de sens : dans le monde du «privé» où le calcul aurait dû se faire au réel, on peut augmenter son salaire en travaillant plus mais tout en sachant «vendre» son travail. Se faire «plat» devant son employeur, lui servir de système d'écoute, sourire à ses enfants, venir plus tôt quand il est là, et en retard quand il est en mission, faire semblant de souffrir en soulevant une allumette pour lui montrer la sueur sur le front, détester ses propres collègues plus que ne le fait le patron pour marquer sa servilité, recourir à l'obséquiosité ou affiner son visage pour accentuer la ressemblance avec une semelle etc, sont autant de méthodes dites indirectes pour augmenter son salaire. Le patronat algérien étant encore, dans certains cas, à la phase orale de l'entreprise familiale et de la subjectivité émotionnelle, un patron est plus heureux d'un employé servile que d'un travailleur efficace. Et là aussi, le rapport salaire/muscle est perverti par «l'amour», les retours d'âge ou l'écrasement, le narcissisme et la vanité. Du coup, la grande conclusion : en Algérie, on n'augmente pas son salaire, en vérité, mais sa part de la rente. Devant les enseignants qui ont fini par obtenir gain de cause, Benbouzid, le ministre de l'Education, a fini par se montrer sous le jour d'un effroyable quémandeur de paix sociale et par céder avec la vitesse d'un dégonflement. Ce qui a joué ce n'est pas nos enfants, ni leur avenir, ni la légitimité des revendications, mais seulement le rapport de force et la promesse de désordre. La même règle que pour calmer une émeute. La brèche est donc ouverte pour les autres : il faut faire pareil. Et beaucoup vont faire pareil. La grève est un travail à plein temps. Désormais.
par Kamel Daoud
C'est la nouvelle question nationale : «comment faire augmenter son salaire ?». Elle vient après celle des chômeurs «comment avoir un salaire ?». La réponse la plus logique est celle de «il faut travailler plus», manière de dire «non». C'est ce que servent les patrons au regard fuyant de l'employé. A la NASA comme au Quotidien d'Oran, comme l'a testé le chroniqueur. C'est aussi une bonne réponse dans un monde juste et dans un pays normalement constitué, avec des mains qui savent tenir une pioche, des pieds qui ont un destin et un cerveau capable d'arrondir la lune avec de bonnes mathématiques. Ce n'est pas le cas pour nous : la relation entre l'effort et le salaire a été pervertie très tôt par le départ du colon, la découverte du pétrole, le socialisme surtout et la reconduction du FLN après la libération. Tout travail ne mérite pas salaire et tout salaire n'est pas l'expression d'une récolte. Du coup, le débat est posé avec de fausses prémices et l'idée de base est que personne ne mérite son salaire dans ce pays et donc tous ont droit à des salaires qu'ils demandent. L'autre idée de base est qu'en Algérie il y a ceux qui sont trop payés et ceux qui sont mal payés. Les gens qui sont «payés» tout court n'existent pas. Ceci étant dit, reste toujours la question «comment faire augmenter son salaire aujourd'hui ?». Pour cela, le régime politique actuel a fini par faire accepter une seule méthode : celle de l'arraché. Il faut pour être bien payé, non seulement travailler, mais surtout protester, faire grève, résister, persister, signer et endurer. Le salaire n'a pas rapport avec l'effort mais avec la force. Il ne suffit pas d'être honnête si on n'est pas fort. Rien ne sert de travailler si on n'impose pas son salaire à son employeur.
Le but de cette longue démonstration est d'aboutir à démontrer un vice de base : la fiction de l'économie nationale. C'est parce que l'économie est fictive et est bâtie sur le pipeline et pas sur le muscle et la fenaison, que le salaire est une question de dentition et de vitesse des jambes et pas une équation entre ce que l'on produit et ce que l'on demande. En plus clair, dans une économie de rente, la méthode est celle de la débrouillardise, du rapport de force et pas celle du calcul. En plus clair encore, puisque la richesse nationale est un gâteau, son partage est celui du bien vacant. C'est aussi conclure que si notre régime était un Etat régulateur, dans une économie libérale réelle, la politique des salaires aurait été celle de la plus-value à répartir. Ce n'est pas le cas : l'économie est étatique tout en étant fictive, le salaire se fait populaire tout en étant sans utilité. Tout le monde est convaincu en Algérie que son salaire est en dessous de ce que a promis l'indépendance et de ce que vaut le pétrole parce que le régime est tellement surpayé que tout le reste du peuple apparaît pauvre. Et chacun calcule sa paie sur la base du baril volé et pas celui du bénéfice de la fin d'année. Ce n'est pas la faute du peuple, mais de son Etat. Même dans le «privé», la règle de base est pervertir par des détournements de sens : dans le monde du «privé» où le calcul aurait dû se faire au réel, on peut augmenter son salaire en travaillant plus mais tout en sachant «vendre» son travail. Se faire «plat» devant son employeur, lui servir de système d'écoute, sourire à ses enfants, venir plus tôt quand il est là, et en retard quand il est en mission, faire semblant de souffrir en soulevant une allumette pour lui montrer la sueur sur le front, détester ses propres collègues plus que ne le fait le patron pour marquer sa servilité, recourir à l'obséquiosité ou affiner son visage pour accentuer la ressemblance avec une semelle etc, sont autant de méthodes dites indirectes pour augmenter son salaire. Le patronat algérien étant encore, dans certains cas, à la phase orale de l'entreprise familiale et de la subjectivité émotionnelle, un patron est plus heureux d'un employé servile que d'un travailleur efficace. Et là aussi, le rapport salaire/muscle est perverti par «l'amour», les retours d'âge ou l'écrasement, le narcissisme et la vanité. Du coup, la grande conclusion : en Algérie, on n'augmente pas son salaire, en vérité, mais sa part de la rente. Devant les enseignants qui ont fini par obtenir gain de cause, Benbouzid, le ministre de l'Education, a fini par se montrer sous le jour d'un effroyable quémandeur de paix sociale et par céder avec la vitesse d'un dégonflement. Ce qui a joué ce n'est pas nos enfants, ni leur avenir, ni la légitimité des revendications, mais seulement le rapport de force et la promesse de désordre. La même règle que pour calmer une émeute. La brèche est donc ouverte pour les autres : il faut faire pareil. Et beaucoup vont faire pareil. La grève est un travail à plein temps. Désormais.