Copenhague : échec et mat Ou la nécessité de changer le monde
par Si Mohamed Baghdadi
Des millions d'êtres humains ont suivi avec attention, partagés entre l'anxiété et l'espoir, le COP 15 de Copenhague.
Il a fallu attendre les deux derniers jours d'un sommet de dupes pour voir les chefs d'Etat les plus influents du monde
se mettre à table pour trouver une solution de compromis.
Et, à force de désaccords dus aux intérêts divergents, se contenter d'une déclaration de principes politiques sans autre contrainte que de limiter le réchauffement à 2 degrés. Ils se sont ainsi déclarés politiquement incompétents, malgré les rodomontades de Sarkozy qui parlait de changer de braquet et de passer à la vitesse supérieure, pour doubler un peloton qui faisait du surplace, pour en demeurer à la métaphore cycliste.
Peloton lourd de 45.000 personnes, lobbyistes du pétrole, du charbon, du nucléaire et du «capitalisme vert» (concept à la mode et nouvelle feuille de vigne du marché toujours triomphant), experts en tous genres, artistes, observateurs et hommes d'affaires venus de 192 pays, se sont affrontés pendant deux semaines dans d'incroyables dédales de procédure. Un inextricable méli-mélo dont seuls les Grands Schmilblicks inventés par le Grand Machin de l'ONU sont devenus les inénarrables spécialistes, démontrant, s'il en était encore besoin, leur incapacité à se sortir de règles procédurales compliquées à l'excès. Voilà comment Christophe Aguiton, militant d'ATTAC, restitue le profil des débats:
«L'ensemble de ces acteurs se rencontrent, cherchent à s'influencer, utilisant toute une panoplie de moyens d'action pour faire pencher les choses en leur faveur. La règle du jeu est simple: l'accord final devant se décider au consensus, chaque acteur-et surtout les Etats -doit peser ses capacités de faire jouer son droit de veto et calculer ce qu'il lui en coûterait de le faire. Emettre un refus-un veto-est une prise de risque, l'accord pouvant se faire sans le pays considéré ou contre la position de l'acteur de la société civile impliqué dans la discussion. En pratique, cela donne un pouvoir considérable aux pays les plus pollueurs, Etats-Unis et Chine au premier plan : un accord sans eux n'aurait que peu de sens et obligerait les autres à des alliances qui deviennent obligatoires pour peser par le poids de leurs vetos cumulés.»
C'est dire combien devient urgente la réforme et le dégraissage de ces grands «machins» qui n'ont d'utilité que pour eux-mêmes et ceux qui s'y disputent des places.
Et durant deux semaines, tout ce beau macrocosme a donné à la planète, attentive et inquiète tout à la fois, le spectacle de son invraisemblable agitation. Une manière comme une autre de se persuader que l'on est utile à quelque chose alors que l'on ne sert à pas grand-chose, du fait que l'on ne détient pas le pouvoir de décider de quoi que ce soit. 45.000 personnes d'utilité peu évidente ont ainsi coûté quelques millions de dollars ou d'euros au budget de leur nation en frais de mission, transport, nourriture et autres per diem.
Alors que de l'autre côté, la société civile, forte de ses convictions militantes, devait se débrouiller toute seule pour effectuer le voyage et subsister vaille que vaille à Copenhague. Parfois se glisser dans le sac de couchage du militant invétéré, quand les «nantis» passaient la nuit bien au chaud dans des chambres cinq étoiles.
Pauvre société civile à qui l'accès de la COP était outrancièrement filtré. Les militants altermondialistes se contentaient de battre le pavé de leurs illusions dans la neige et le froid, ou, en désespoir de cause, allumer les bougies d'un incertain miracle. Et continuer à faire pression sur des décideurs englués dans leurs contradictions et les boulets imposés par un modèle de développement suicidaire pour une planète aux ressources limitées. Il faut croire que tant d'abnégation, d'opiniâtreté et de persévérance n'ayant pu venir à bout des matraques et des boucliers de la police danoise, aussi impitoyable que toutes les polices du monde, auraient mérité un meilleur sort.
Il a fallu le culot de militants altermondialiste que nous rapporte Reclaim Power :
«La mise en place de l'action Reclaim Power démarre et la tension monte rapidement. José Bové, en voulant plaider la cause des Amis de la terre au côté de leur président Nimmo Bassey, est embarqué par la sécurité du Centre de conférence et y demeure enfermé un moment. De nombreux observateurs d'ONG restent coincés à l'extérieur, bien qu'ils soient en possession des incontournables badges de niveau 1 et 2». Pour ébranler les consciences et frappé les imaginations.
C'est ainsi que par toute une série d'actions pacifiques, ils ont réussi à rendre visibles les protestations de milliers de militants à travers la planète et faire entendre la voix de cette mégapétition, oeuvre d'Avaz qui réussit à réunir plus de 12 millions de signatures. Sans compter la myriade de bloggeurs dont les trouvailles en communication ont dû faire pâlir maints professionnels de la politique. Je dis professionnels de la politique parce que, comme tous les forums sociaux, la réunion du COP 15 a constitué la défense et l'illustration d'une réalité de plus en plus tangible et convaincante. Car, finalement, il est à se demander depuis les luttes et manifestations de Ghandi et de Martin Luther King, celles de notre 11 décembre, qui se voulaient pacifiques, si la vraie politique n'est pas celle qui occupe la rue. Elle a toujours fini par disqualifier la politique des professionnels, celle des partis machines, des partis godillots aux dogmes immuables, incapables d'inventer un projet humain pour le triomphe de l'humanité toute entière.
Parce que le vrai problème est de cette dimension et non de celle des Etats toujours crispés sur leurs tristes certitudes
Attention à la récupération des Forums du monde
L'énorme farce, ou tragi-comédie de Copenhague, fut la parfaite expression de cet inégal combat entre le pot de fer des Etats totalitaires et policiers et le pot de terre (c'est le cas de le dire) de la voix des peuples dispersée dans quelques ONG aux ressources limitées.
Cette énorme pantalonnade nous rappelle aussi que les forums, comme le FSM (Forum Social Mondial), ne sont pas à l'abri de récupération politicienne, comme ce fut la cas à Nairobi en 2007, pour la septième édition du FSM. Le gouvernement de Nairobi, encerclé par les énormes bidonvilles dont plusieurs dépassent le million d'âmes, a réussi à se servir du pagne du FSM comme pour «légitimer» la misère qui frappait des pans entiers de la société kenyane, alors que les députés et autres dirigeants se vautraient dans les lits de la corruption. Pendant que le FSM était confiné, pour ne pas dire cloîtré, au stade Arap Moi, le peuple kenyan vivait en marge de cette énorme «foire planétaire» qui le concernait au premier chef et où il ne pouvait faire entendre sa voix. Il a fallu que les militants du Parlement du Peuple-une ONG kenyane créée depuis plus de 15 ans pour dénoncer les députés ripoux - dressent en pleine ville les tentes d'un véritable forum populaire, afin que les Kenyans puissent s'exprimer et parler de leurs problèmes. Le FSM fut, pour cette occasion, une sorte de bunker des ONG du monde qui avaient fait le déplacement à Nairobi pour parler entre elles des affaires du monde et de sa mal-gouvernance. Pour plus de précision, indiquons que l'entrée au FSM avait été fixée à 500 Ksch (kenyan schillings), soit une semaine de la nourriture d'un bébé, au point que des militants du Parlement du Peuple se promenaient avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Food or Forum ?».
Deux logiques, deux mondes parallèles et de la mal-gouvernance
A Copenhague aussi, il y eut, dans la bonne tradition de ces rassemblements, face aux réunions huppées «style Davos», un Sommet alternatif, ayant réuni, selon les estimations, des milliers de personnes, notamment les 20-30 ans qui portent le mieux la dimension planétaire du problème que l'on veut confiner à une bataille de quotas entre nations. Cela confirme, certes un peu trop sommairement, que deux logiques s'affrontent depuis la chute du Mur de Berlin : celle des pouvoirs en place et celle des «peuples de jeunes» qui veulent d'un autre monde que celui qui leur est fait, avec ses inégalités, ses injustices, sa démocratie du bâillon et du bâton et ses «hogras» en tous genres.
Bien des analyses ont déjà été produites et bien d'autres suivront pour conclure et confirmer à l'échec d'un sommet auquel la communauté internationale et le monde de la science ont consacré deux années de préparation. Que d'efforts et d'argent consommés et consumés en pure perte ! Il est évident que le monde est mal gouverné. Copenhague a confirmé que la planète est à la merci des plus forts et, qu'à défaut d'invasions militaires, les gourdins des policiers peuvent toujours rappeler aux récalcitrants de quel côté se trouve «la raison du plus fort» qui, comme l'a si bien dit Jean de La Fontaine, «est toujours la meilleure» pour continuer à imposer la logique du marché.
Le COP 15 a également confirmé l'évidence de deux mondes antagoniques se faisant face depuis des lustres : d'un côté, celui des capitalistes mus par une seule et unique pulsion, accumuler des profits colossaux à n'importe quel prix, sans savoir rien faire d'autre que du profit, même si cela devait mener la planète au désastre suprême. Et de l'autre, la société majoritaire des femmes et des hommes soucieux de préserver cette planète des cataclysmes promis par les désordres climatiques, annoncés et déjà intervenus, pour léguer à leurs enfants et petits-enfants un monde habitable.
La nécessité du changement humaniste du monde
Face au profit, seule raison d'exister des multinationales qui corsètent le monde en imposant leur loi aux Etats de plus en plus impuissants à réguler les désordres financiers qui ont mené à la grande crise, vite oubliée selon certains, et plus présente que jamais selon d'autres, se dresse la volonté du maximum d'humains unis ou tendant à s'unir car entraînés par les mêmes calamités et souffrant des mêmes misères. Généralement, on appelle cela l'humanité solidaire, et le mouvement qui pousse à la préserver, l'humanisme, dont certains, parmi les nantis, se gaussent comme d'une guigne. Les hommes et les femmes qui veulent d'un autre monde ont fini de s'interroger sur le pourquoi de cet entêtement suicidaire démontré par les dirigeants du monde, dont l'action est loin de correspondre aux discours. Ils savent et sont de plus en plus largement persuadés que si un mode alternatif de développement n'est pas défini et mis en oeuvre, les risques certains d'un naufrage planétaire pèsent sur l'humanité. L'important pour eux étant l'homme, et non le profit, l'être et non l'avoir.
Pour changer le monde, sa gouvernance et la nature des rapports entre les hommes, beaucoup sont fermement convaincus qu'il faut changer de modèle de développement. Tandis que les défenseurs de l'autre modèle parlent de capitalisme vert ou d'éco-capitalisme pour continuer à imposer la logique ultralibérale, sans avoir tiré toutes les leçons de la débâcle financière qui a failli balayer l'économie-monde.
Hugo Chavez avait bien raison de dire en substance que «si le climat avait été une banque, les capitalistes auraient très vite trouvé les moyens de le sauver».
Car les turbulences et dérèglements, quelle qu'en soit la nature, économique, climatique, culturelle ou sociale, qui agitent aujourd'hui le monde, sont les signes avant-coureurs d'une régression planétaire, malgré les avancées phénoménales engrangées par l'humanité en deux siècles. Les écarts de plus en plus lourds et criants entre le Nord et le Sud nourrissent, et tout le monde le sait, les terrorismes et les haines de l'autre. Et ce n'est pas en lançant des débats sur l'identité, ici ou ailleurs, biaisés dès le départ par des visées bassement électoralistes, que l'on travaille au rapprochement des hommes. Bien au contraire, on ne fait qu'attiser la haine et l'exclusion de l'autre.
L'humanité est appelée à se réconcilier avec elle-même de toute urgence. Et ce n'est pas ce que vient de faire Obama, en envoyant 30.000 hommes en Afghanistan et en désignant la Chine comme bouc émissaire pour justifier l'échec du COP 15, qui va nous rapprocher de cette finalité, devenue un impératif catégorique. Le dialogue doit être repris au plus vite plutôt que d'être rejeté aux calendes mexicaines. Car c'est en sauvant l'humanité toute entière que les pays riches se sauveront eux-mêmes.
par Si Mohamed Baghdadi
Des millions d'êtres humains ont suivi avec attention, partagés entre l'anxiété et l'espoir, le COP 15 de Copenhague.
Il a fallu attendre les deux derniers jours d'un sommet de dupes pour voir les chefs d'Etat les plus influents du monde
se mettre à table pour trouver une solution de compromis.
Et, à force de désaccords dus aux intérêts divergents, se contenter d'une déclaration de principes politiques sans autre contrainte que de limiter le réchauffement à 2 degrés. Ils se sont ainsi déclarés politiquement incompétents, malgré les rodomontades de Sarkozy qui parlait de changer de braquet et de passer à la vitesse supérieure, pour doubler un peloton qui faisait du surplace, pour en demeurer à la métaphore cycliste.
Peloton lourd de 45.000 personnes, lobbyistes du pétrole, du charbon, du nucléaire et du «capitalisme vert» (concept à la mode et nouvelle feuille de vigne du marché toujours triomphant), experts en tous genres, artistes, observateurs et hommes d'affaires venus de 192 pays, se sont affrontés pendant deux semaines dans d'incroyables dédales de procédure. Un inextricable méli-mélo dont seuls les Grands Schmilblicks inventés par le Grand Machin de l'ONU sont devenus les inénarrables spécialistes, démontrant, s'il en était encore besoin, leur incapacité à se sortir de règles procédurales compliquées à l'excès. Voilà comment Christophe Aguiton, militant d'ATTAC, restitue le profil des débats:
«L'ensemble de ces acteurs se rencontrent, cherchent à s'influencer, utilisant toute une panoplie de moyens d'action pour faire pencher les choses en leur faveur. La règle du jeu est simple: l'accord final devant se décider au consensus, chaque acteur-et surtout les Etats -doit peser ses capacités de faire jouer son droit de veto et calculer ce qu'il lui en coûterait de le faire. Emettre un refus-un veto-est une prise de risque, l'accord pouvant se faire sans le pays considéré ou contre la position de l'acteur de la société civile impliqué dans la discussion. En pratique, cela donne un pouvoir considérable aux pays les plus pollueurs, Etats-Unis et Chine au premier plan : un accord sans eux n'aurait que peu de sens et obligerait les autres à des alliances qui deviennent obligatoires pour peser par le poids de leurs vetos cumulés.»
C'est dire combien devient urgente la réforme et le dégraissage de ces grands «machins» qui n'ont d'utilité que pour eux-mêmes et ceux qui s'y disputent des places.
Et durant deux semaines, tout ce beau macrocosme a donné à la planète, attentive et inquiète tout à la fois, le spectacle de son invraisemblable agitation. Une manière comme une autre de se persuader que l'on est utile à quelque chose alors que l'on ne sert à pas grand-chose, du fait que l'on ne détient pas le pouvoir de décider de quoi que ce soit. 45.000 personnes d'utilité peu évidente ont ainsi coûté quelques millions de dollars ou d'euros au budget de leur nation en frais de mission, transport, nourriture et autres per diem.
Alors que de l'autre côté, la société civile, forte de ses convictions militantes, devait se débrouiller toute seule pour effectuer le voyage et subsister vaille que vaille à Copenhague. Parfois se glisser dans le sac de couchage du militant invétéré, quand les «nantis» passaient la nuit bien au chaud dans des chambres cinq étoiles.
Pauvre société civile à qui l'accès de la COP était outrancièrement filtré. Les militants altermondialistes se contentaient de battre le pavé de leurs illusions dans la neige et le froid, ou, en désespoir de cause, allumer les bougies d'un incertain miracle. Et continuer à faire pression sur des décideurs englués dans leurs contradictions et les boulets imposés par un modèle de développement suicidaire pour une planète aux ressources limitées. Il faut croire que tant d'abnégation, d'opiniâtreté et de persévérance n'ayant pu venir à bout des matraques et des boucliers de la police danoise, aussi impitoyable que toutes les polices du monde, auraient mérité un meilleur sort.
Il a fallu le culot de militants altermondialiste que nous rapporte Reclaim Power :
«La mise en place de l'action Reclaim Power démarre et la tension monte rapidement. José Bové, en voulant plaider la cause des Amis de la terre au côté de leur président Nimmo Bassey, est embarqué par la sécurité du Centre de conférence et y demeure enfermé un moment. De nombreux observateurs d'ONG restent coincés à l'extérieur, bien qu'ils soient en possession des incontournables badges de niveau 1 et 2». Pour ébranler les consciences et frappé les imaginations.
C'est ainsi que par toute une série d'actions pacifiques, ils ont réussi à rendre visibles les protestations de milliers de militants à travers la planète et faire entendre la voix de cette mégapétition, oeuvre d'Avaz qui réussit à réunir plus de 12 millions de signatures. Sans compter la myriade de bloggeurs dont les trouvailles en communication ont dû faire pâlir maints professionnels de la politique. Je dis professionnels de la politique parce que, comme tous les forums sociaux, la réunion du COP 15 a constitué la défense et l'illustration d'une réalité de plus en plus tangible et convaincante. Car, finalement, il est à se demander depuis les luttes et manifestations de Ghandi et de Martin Luther King, celles de notre 11 décembre, qui se voulaient pacifiques, si la vraie politique n'est pas celle qui occupe la rue. Elle a toujours fini par disqualifier la politique des professionnels, celle des partis machines, des partis godillots aux dogmes immuables, incapables d'inventer un projet humain pour le triomphe de l'humanité toute entière.
Parce que le vrai problème est de cette dimension et non de celle des Etats toujours crispés sur leurs tristes certitudes
Attention à la récupération des Forums du monde
L'énorme farce, ou tragi-comédie de Copenhague, fut la parfaite expression de cet inégal combat entre le pot de fer des Etats totalitaires et policiers et le pot de terre (c'est le cas de le dire) de la voix des peuples dispersée dans quelques ONG aux ressources limitées.
Cette énorme pantalonnade nous rappelle aussi que les forums, comme le FSM (Forum Social Mondial), ne sont pas à l'abri de récupération politicienne, comme ce fut la cas à Nairobi en 2007, pour la septième édition du FSM. Le gouvernement de Nairobi, encerclé par les énormes bidonvilles dont plusieurs dépassent le million d'âmes, a réussi à se servir du pagne du FSM comme pour «légitimer» la misère qui frappait des pans entiers de la société kenyane, alors que les députés et autres dirigeants se vautraient dans les lits de la corruption. Pendant que le FSM était confiné, pour ne pas dire cloîtré, au stade Arap Moi, le peuple kenyan vivait en marge de cette énorme «foire planétaire» qui le concernait au premier chef et où il ne pouvait faire entendre sa voix. Il a fallu que les militants du Parlement du Peuple-une ONG kenyane créée depuis plus de 15 ans pour dénoncer les députés ripoux - dressent en pleine ville les tentes d'un véritable forum populaire, afin que les Kenyans puissent s'exprimer et parler de leurs problèmes. Le FSM fut, pour cette occasion, une sorte de bunker des ONG du monde qui avaient fait le déplacement à Nairobi pour parler entre elles des affaires du monde et de sa mal-gouvernance. Pour plus de précision, indiquons que l'entrée au FSM avait été fixée à 500 Ksch (kenyan schillings), soit une semaine de la nourriture d'un bébé, au point que des militants du Parlement du Peuple se promenaient avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Food or Forum ?».
Deux logiques, deux mondes parallèles et de la mal-gouvernance
A Copenhague aussi, il y eut, dans la bonne tradition de ces rassemblements, face aux réunions huppées «style Davos», un Sommet alternatif, ayant réuni, selon les estimations, des milliers de personnes, notamment les 20-30 ans qui portent le mieux la dimension planétaire du problème que l'on veut confiner à une bataille de quotas entre nations. Cela confirme, certes un peu trop sommairement, que deux logiques s'affrontent depuis la chute du Mur de Berlin : celle des pouvoirs en place et celle des «peuples de jeunes» qui veulent d'un autre monde que celui qui leur est fait, avec ses inégalités, ses injustices, sa démocratie du bâillon et du bâton et ses «hogras» en tous genres.
Bien des analyses ont déjà été produites et bien d'autres suivront pour conclure et confirmer à l'échec d'un sommet auquel la communauté internationale et le monde de la science ont consacré deux années de préparation. Que d'efforts et d'argent consommés et consumés en pure perte ! Il est évident que le monde est mal gouverné. Copenhague a confirmé que la planète est à la merci des plus forts et, qu'à défaut d'invasions militaires, les gourdins des policiers peuvent toujours rappeler aux récalcitrants de quel côté se trouve «la raison du plus fort» qui, comme l'a si bien dit Jean de La Fontaine, «est toujours la meilleure» pour continuer à imposer la logique du marché.
Le COP 15 a également confirmé l'évidence de deux mondes antagoniques se faisant face depuis des lustres : d'un côté, celui des capitalistes mus par une seule et unique pulsion, accumuler des profits colossaux à n'importe quel prix, sans savoir rien faire d'autre que du profit, même si cela devait mener la planète au désastre suprême. Et de l'autre, la société majoritaire des femmes et des hommes soucieux de préserver cette planète des cataclysmes promis par les désordres climatiques, annoncés et déjà intervenus, pour léguer à leurs enfants et petits-enfants un monde habitable.
La nécessité du changement humaniste du monde
Face au profit, seule raison d'exister des multinationales qui corsètent le monde en imposant leur loi aux Etats de plus en plus impuissants à réguler les désordres financiers qui ont mené à la grande crise, vite oubliée selon certains, et plus présente que jamais selon d'autres, se dresse la volonté du maximum d'humains unis ou tendant à s'unir car entraînés par les mêmes calamités et souffrant des mêmes misères. Généralement, on appelle cela l'humanité solidaire, et le mouvement qui pousse à la préserver, l'humanisme, dont certains, parmi les nantis, se gaussent comme d'une guigne. Les hommes et les femmes qui veulent d'un autre monde ont fini de s'interroger sur le pourquoi de cet entêtement suicidaire démontré par les dirigeants du monde, dont l'action est loin de correspondre aux discours. Ils savent et sont de plus en plus largement persuadés que si un mode alternatif de développement n'est pas défini et mis en oeuvre, les risques certains d'un naufrage planétaire pèsent sur l'humanité. L'important pour eux étant l'homme, et non le profit, l'être et non l'avoir.
Pour changer le monde, sa gouvernance et la nature des rapports entre les hommes, beaucoup sont fermement convaincus qu'il faut changer de modèle de développement. Tandis que les défenseurs de l'autre modèle parlent de capitalisme vert ou d'éco-capitalisme pour continuer à imposer la logique ultralibérale, sans avoir tiré toutes les leçons de la débâcle financière qui a failli balayer l'économie-monde.
Hugo Chavez avait bien raison de dire en substance que «si le climat avait été une banque, les capitalistes auraient très vite trouvé les moyens de le sauver».
Car les turbulences et dérèglements, quelle qu'en soit la nature, économique, climatique, culturelle ou sociale, qui agitent aujourd'hui le monde, sont les signes avant-coureurs d'une régression planétaire, malgré les avancées phénoménales engrangées par l'humanité en deux siècles. Les écarts de plus en plus lourds et criants entre le Nord et le Sud nourrissent, et tout le monde le sait, les terrorismes et les haines de l'autre. Et ce n'est pas en lançant des débats sur l'identité, ici ou ailleurs, biaisés dès le départ par des visées bassement électoralistes, que l'on travaille au rapprochement des hommes. Bien au contraire, on ne fait qu'attiser la haine et l'exclusion de l'autre.
L'humanité est appelée à se réconcilier avec elle-même de toute urgence. Et ce n'est pas ce que vient de faire Obama, en envoyant 30.000 hommes en Afghanistan et en désignant la Chine comme bouc émissaire pour justifier l'échec du COP 15, qui va nous rapprocher de cette finalité, devenue un impératif catégorique. Le dialogue doit être repris au plus vite plutôt que d'être rejeté aux calendes mexicaines. Car c'est en sauvant l'humanité toute entière que les pays riches se sauveront eux-mêmes.