[*]L’échec scolaire : où est le problème ?
Socialement, l’échec scolaire n’est un problème que pour une société
qui veut que tous ses enfants parviennent, à l’issue de la période de
« l’instruction obligatoire », à accéder aux savoirs nécessaires à
l’exercice de la citoyenneté. Politiquement, l’échec scolaire est donc
insupportable pour une société qui se veut démocratique : il n’y a pas de
projet démocratique authentique – même, simplement, comme « utopie de
référence » – sans une éducation démocratique à la démocratie. En effet,
la démocratisation de l’accès aux savoirs et le développement systématique de
la capacité à « penser par soi-même », peuvent, seuls, permettre
d’espérer qu’un régime démocratique ne soit pas gangrené par la démagogie et
devienne une oligarchie. Économiquement, l’échec scolaire n’est un
problème que dans la mesure où l’on exige que les personnes assignées à des
tâches d’exécution – qui ne requièrent pas nécessairement la maîtrise de
savoirs de haut niveau – ne soient pas, pour autant, écartées de l’accès à
l’intelligence des êtres et des choses, des enjeux de notre société et de notre
monde. C’est pourquoi il n’y a pas de dimension exclusivement économique de
l’échec scolaire : c’est toujours une question d’éthique.
[*]
L’usage social de l’expression
« échec scolaire » est sujet à caution. On désigne, en fait, sous ce
vocable, des réalités très différentes. Dans un travail que j’avais effectué en
1985 et 1986, j’avais distingué « élève en difficulté » et
« élève en échec ». Ma collaboratrice, Emmanuelle Yanni, avait repris
cette distinction en montrant bien son utilité. L’élève « en
difficulté » relève, le plus souvent, de procédures de
« remédiation » : il a besoin de plus de temps et d’autres
explications, de nouveaux exemples ou d’un meilleur entraînement. L’élève
« en échec », lui, est en rupture par rapport à l’institution, au
travail et aux savoirs scolaires : il requiert une véritable alternative.
La question de savoir quelle doit être cette alternative, si elle relève de la
« pédagogie ordinaire différenciée », d’interventions ponctuelles de
spécialistes, d’une prise en charge différente, voire de la mise en place de cursus
spécialisés, est un objet de travail fondamental aujourd’hui. Il est d’ailleurs
essentiel que cette question reste ouverte comme question : rien ne serait
pire qu’elle soit « tranchée » définitivement. En matière éducative,
toute typologie, en particulier quand elle engage des procédures de traitement
institutionnel, doit toujours être réinterrogée comme typologie. Cette
réinterrogation est, même, la garantie du caractère éducatif de la démarche…
Mais cela n’enlève rien au fait que nous vivons aujourd’hui une situation où un
nombre significatif d’élèves est « hors-jeu » dans l’École.
[*]
Nous avons réussi, vaille que
vaille, depuis 1959 et la scolarité obligatoire à seize ans, à démocratiser
l’accès à l’école en permettant l’accueil de tous les enfants dans les mêmes
écoles primaires et l’accès de tous les adolescents au collège. Mais nous avons
moins bien réussi la démocratisation de la réussite dans l’école. Certes, le
niveau global d’instruction s’est élevé, mais, faute de la mise en place d’une
pédagogie différenciée autour d’objectifs communs et d’un accompagnement
réellement efficace des élèves dont les situations sociales et personnelles
sont les plus difficiles, nous avons laissé se développer un pourcentage
important (de 15 à 25%, selon la manière dont on le calcule) d’exclus de
l’intérieur. Ces élèves n’ont plus « l’excuse » d’avoir été écartés
très tôt du système et il est donc facile de leur imputer, à eux et à leur
famille, la seule responsabilité de leur échec. De victimes, ils deviennent
coupables, dans une oscillation infernale – toujours très idéologique – qui
évite de s’interroger sérieusement sur la complexité des situations.
Socialement, l’échec scolaire n’est un problème que pour une société
qui veut que tous ses enfants parviennent, à l’issue de la période de
« l’instruction obligatoire », à accéder aux savoirs nécessaires à
l’exercice de la citoyenneté. Politiquement, l’échec scolaire est donc
insupportable pour une société qui se veut démocratique : il n’y a pas de
projet démocratique authentique – même, simplement, comme « utopie de
référence » – sans une éducation démocratique à la démocratie. En effet,
la démocratisation de l’accès aux savoirs et le développement systématique de
la capacité à « penser par soi-même », peuvent, seuls, permettre
d’espérer qu’un régime démocratique ne soit pas gangrené par la démagogie et
devienne une oligarchie. Économiquement, l’échec scolaire n’est un
problème que dans la mesure où l’on exige que les personnes assignées à des
tâches d’exécution – qui ne requièrent pas nécessairement la maîtrise de
savoirs de haut niveau – ne soient pas, pour autant, écartées de l’accès à
l’intelligence des êtres et des choses, des enjeux de notre société et de notre
monde. C’est pourquoi il n’y a pas de dimension exclusivement économique de
l’échec scolaire : c’est toujours une question d’éthique.
- L’échec scolaire : que met-on exactement sous
cette expression ?
[*]
L’usage social de l’expression
« échec scolaire » est sujet à caution. On désigne, en fait, sous ce
vocable, des réalités très différentes. Dans un travail que j’avais effectué en
1985 et 1986, j’avais distingué « élève en difficulté » et
« élève en échec ». Ma collaboratrice, Emmanuelle Yanni, avait repris
cette distinction en montrant bien son utilité. L’élève « en
difficulté » relève, le plus souvent, de procédures de
« remédiation » : il a besoin de plus de temps et d’autres
explications, de nouveaux exemples ou d’un meilleur entraînement. L’élève
« en échec », lui, est en rupture par rapport à l’institution, au
travail et aux savoirs scolaires : il requiert une véritable alternative.
La question de savoir quelle doit être cette alternative, si elle relève de la
« pédagogie ordinaire différenciée », d’interventions ponctuelles de
spécialistes, d’une prise en charge différente, voire de la mise en place de cursus
spécialisés, est un objet de travail fondamental aujourd’hui. Il est d’ailleurs
essentiel que cette question reste ouverte comme question : rien ne serait
pire qu’elle soit « tranchée » définitivement. En matière éducative,
toute typologie, en particulier quand elle engage des procédures de traitement
institutionnel, doit toujours être réinterrogée comme typologie. Cette
réinterrogation est, même, la garantie du caractère éducatif de la démarche…
Mais cela n’enlève rien au fait que nous vivons aujourd’hui une situation où un
nombre significatif d’élèves est « hors-jeu » dans l’École.
- L’échec scolaire : pourquoi ce problème
émerge-t-il de manière si forte aujourd’hui ?
[*]
Nous avons réussi, vaille que
vaille, depuis 1959 et la scolarité obligatoire à seize ans, à démocratiser
l’accès à l’école en permettant l’accueil de tous les enfants dans les mêmes
écoles primaires et l’accès de tous les adolescents au collège. Mais nous avons
moins bien réussi la démocratisation de la réussite dans l’école. Certes, le
niveau global d’instruction s’est élevé, mais, faute de la mise en place d’une
pédagogie différenciée autour d’objectifs communs et d’un accompagnement
réellement efficace des élèves dont les situations sociales et personnelles
sont les plus difficiles, nous avons laissé se développer un pourcentage
important (de 15 à 25%, selon la manière dont on le calcule) d’exclus de
l’intérieur. Ces élèves n’ont plus « l’excuse » d’avoir été écartés
très tôt du système et il est donc facile de leur imputer, à eux et à leur
famille, la seule responsabilité de leur échec. De victimes, ils deviennent
coupables, dans une oscillation infernale – toujours très idéologique – qui
évite de s’interroger sérieusement sur la complexité des situations.