Par M.KAIS PES de français
Exposé n° 4 : ENSEIGNER LA GRAMMAIRE.
INTRODUCTION :
Dans cet Exposé, il sera question de la critique d’un certain nombre de
concepts considérés comme incontournables dans la pratique pédagogique
traditionnelle, tel la méthode du livre de grammaire, la démarche du
modèle, le corpus, l’enseignement grammatical, etc.
La maîtrise
d’une langue passe forcément par l’apprentissage de mécanismes
cognitifs, comportementaux et relationnels, permettant à l’apprenant de
construire des discours et de comprendre d’autres qu’il peut recevoir à
l’oral ou à l’écrit. De ce fait, l’enseignement de la langue est soumis
à cette condition. Il se trouve en revanche que l’enseignement
traditionnel occultait les autres dimensions de la langue, telles
l’énonciation, l’aspect pragmatique, la compréhension du sens,
l’expression orale ou écrite, les réseaux lexicaux, etc., au profit de
la seule grammaire. Cette focalisation quasi-exclusive sur l’aspect
grammatical ne peut en réalité déboucher sur un apprentissage utile,
car la maîtrise d’une langue ne se résume pas à la seule maîtrise de la
grammaire.
• La Grammaire scolaire est une référence et non une pédagogie :
Dans
la pratique pédagogique, le « quoi enseigner » pose parfois problème
car il existe une grande confusion entre l’enseignement de la langue et
l’enseignement de la grammaire. Dans l’enseignement traditionnel la
primauté était réservée à la grammaire, à la description du système, au
détriment du système lui-même. On considérait, à tort du reste, que la
grammaire c’est la langue, et enseigner la grammaire c’est enseigner la
langue. Or, la notion de « grammaire » renvoie seulement à l’étude, à
la connaissance réflexive des régularités, règles ou normes
caractéristiques d’une langue.
Il apparaît dans certains
comportements pédagogiques que l’aspect procédural de la leçon est
calqué, le plus souvent, sur la méthodologie du livre de grammaire
classique. Mais il faut admettre que celui-ci doit rester une référence
et un soutien à l’apprentissage réservé plutôt aux autodidactes, plus
qu’aux élèves, en situation d’apprentissage d’une langue, en présence
d’un enseignent. En d’autres termes, le livre de grammaire classique ne
présente pas de leçons mais des règles d’emploi ponctuées d’exemples.
Certes, ce type de livre est utile à être consulté, si besoin est, mais
pas toujours conséquent comme modèle pédagogique.
La seule
fonction métalinguistique du langage ne suffit pas à construire une
compétence de communication qui peut faire de l’apprenant une personne
capable de formuler des discours en situation concrète. Connaître les
règles de grammaire sans savoir communiquer veut dire que l’apprenant
possède la compétence grammaticale sans posséder la compétence de
communication.
A titre anecdotique, un maître d’école demande à un
enfant de lui dire s’il aime les animaux. L’enfant lui fait un signe
affirmatif de la tête. Lorsqu’il lui demande s’il possède un animal de
compagnie chez lui, l’enfant lui refait le même signe. Enfin quand il
lui demande de quel animal il s’agit, l’enfant lui fait signe cette
fois-ci avec ses bras comme s’il bat des ailes pour lui signifier qu’il
possède un oiseau. Cet enfant possède la compétence de compréhension et
non la compétence linguistique.
• L’enseignement à partir d’un modèle n’est pas rentable :
La
méthode d’enseignement par le modèle, appliquée dans les années 80
notamment pour les langues étrangères, et qui consistait à proposer à
l’apprenant des batteries d’exercices structuraux, forgés à partir d’un
modèle de structure « correcte », s’avère inefficace sur le plan de
l’apprentissage. Elle consacrait la grammaire phrastique qui traitait
du fait linguistique au niveau local, en dehors de tout contexte
discursif. Les phrases proposées n’avaient de lien syntaxico-sémantique
qu’au niveau de la similitude de la structure à enseigner, puis à
reproduire mécaniquement, sur des énoncés successifs. Le souci de cette
grammaire dite « générative et transformationnelle », initiée par
Chomsky, et basée sur le seul aspect morphosyntaxique de la langue,
révélait dans un premier temps la règle d’emploi sous forme de modèle,
avant de traiter de la difficulté ; ensuite elle soumettait
l’apprenant à un conditionnement pavlovien du réflexe conditionnel à
une forme de structure « clonée » à partir de ce modèle ; enfin elle
faisait évaporer toute la curiosité et la motivation chez l’apprenant
en l’empêchant d’aller de lui-même, à la découverte en dernière
instance, de la règle d’emploi, afin de bâtir une grammaire
personnelle, lui permettant de construire ses propres discours.
Cette
méthode dite « déductive » qui partait de la règle, de la généralité
pour aboutir au cas particulier, ne permet pas à l’apprenant de se
faire sa propre formulation de la règle de grammaire. Par ailleurs elle
focalise l’attention uniquement sur la structure limitée de la phrase
(la phrase simple, la phrase complexe, les concordances, les accords,
le pluriel, etc.), mais accordait peu d’importance à un cadre plus
global qui est la grammaire du texte (système des temps, les réseaux
des articulateurs, les indices de co-référenciation liés à la
distribution du thème central, etc.), ainsi qu’à la grammaire dite du
discours ou de l’énonciation ou de la co-énonciation (indices de
l’émetteur, du récepteur, les modalisateurs - adjectifs et adverbes
subjectifs -, la ponctuation, etc.).
• La Grammaire de texte et la mise en situation de l’apprenant :
Les
sciences de l’éducation ont apporté ces dernières années plusieurs
méthodes d’approche concernant l’enseignement des langues. De
l’approche par objectifs (l’Unité Didactique), à l’approche par les
compétences enfin à l’approche par les situations. Dans tous les cas de
figure, et contrairement à l’enseignement de la grammaire phrastique,
la méthode la plus efficiente est celle de l’enseignement de la
grammaire de texte et de la grammaire du discours comme il a été
signalé plus haut. Elle consiste à proposer à l’apprenant un fait de
langue en contexte, c’est-à-dire dans un texte « intéressant » à
exploiter pédagogiquement. Cette méthode est rentable à plus d’un titre
car elle permet de situer le fait de langue à étudier dans son contexte
global. Le support choisi doit contenir le (ou les) point de langue
ciblé comme trait pertinent. L’exercice (ou la tâche) doit être conçu à
partir d’un texte dont il faut considérer ce qui suit :
a- L’Enonciation : (qui parle à qui, les indices de personne, le registre de langue).
b- Les choix syntaxiques : (les temps, les qualifiants, les accords, etc.).
c- L’enjeu du discours : argumentation, narration, explication, description, etc.).
d- La progression thématique :(la cohérence textuelle, la stratégie discursive, la visée de l’auteur, etc.).
Cette approche permet donc de dévoiler l’ancrage du fait
grammatical étudié, de le situer dans son contexte et de l’inscrire
dans une grammaire sémantique qui peut permettre à l’apprenant « in
finé » de tirer des conclusions et de comprendre les choix faits par
l’auteur du texte. Les choix grammaticaux ne sont jamais gratuits dans
un discours, qu’il soit oral ou écrit.
• De l’analyse à la règle et non l’inverse :
Ce
qu’il faut souligner avec insistance c’est le fait de ne pas rester au
stade de l’étude d’une langue pour elle-même, car il est difficile
d’apprendre le fonctionnement de cette langue si l’on ne propose que
des activités dans lesquelles le langage « tournerait à vide », où le
seul rôle du métalangage serait d’expliquer le fonctionnement de ce
langage. La grammaire ne doit pas constituer une fin en soi ni une
compétence terminale mais un moyen d’atteindre d’autres compétences
(lecture, production, communication)
L’étude d’une langue devrait
s’appuyer sur des attitudes de curiosité et de recherche, entièrement
opposées aux attitudes dogmatiques trop souvent de règle, basées sur la
formulation d’hypothèses, leur vérification et la construction de
raisonnements de conceptualisation. La pédagogie qui accompagnait la
grammaire traditionnelle était du genre « transmissif » ou « de
processus d’inculcation et d’imposition ». L’enseignant censé tout
savoir, venait en classe pour « enseigner » ou effectuer, à sens
unique, un transvasement du savoir vers un apprenant censé tout
ignorer. Il décrétait ce qu’il jugeait bon à être enseigné, sans se
soucier des conditions d’apprentissage, de l’efficacité et même parfois
de l’utilité de ce qu’il proposait. A défaut d’un cadre d’orientation
et de formation théorique, ce genre de méthodologie risque encore de
sévir dans les classes de langue.
Mais grâce aux nouvelles
technologies et à l’apport des nouvelles méthodes telles la pédagogie
de projet, où toute activité doit s’inscrire dans une planification
pédagogique, l’élève peut lui-même aller à la recherche de
l’information et pourquoi pas devancer le maître dans la construction
du savoir et du savoir-faire.
Le dévoilement de la règle doit
s’effectuer en fin de parcours, c’est-à-dire à l’issue de l’activité
qui doit démarrer d’une situation problème, en transitant par une
situation-recherche et en débouchant sur une solution-réponse. En
d’autres termes, l’apprentissage doit être conduit de la difficulté
vers le concept et non du concept vers la difficulté. Cette démarche
est dite « inductive », c’est-à-dire du cas singulier vers la
généralité et la règle qui préside à l’emploi. L’approche
onomasiologique doit primer sur l’approche sémasiologique, c’est-à-dire
du mot vers le concept et non du concept vers le mot.
• Plusieurs types d’appellations :
D’après
le contenu et l’usage que l’on fait d’une grammaire, de n’importe
quelle langue, on peut distinguer plusieurs types de concepts :
1. La Grammaire normative :
Il
s’agit de l’ensemble des règles (et des exceptions) d’emploi, répondant
à la norme, inscrites dans les ouvrages de grammaire et qui sont
conformes à l’usage convenu par ces ouvrages de référence et dictées
par la pratique quotidienne de son enseignement. L’usage de ces règles
et de leurs exceptions considère comme erronée toute forme déviante de
ce qu’elles préconisent. Toutefois, il arrive que des locuteurs aient
recours, par souci d’économie de mots, de comportements sociaux ou de
fluidité orale, à des registres de langue familiers et à des écarts
syntaxiques, lexicaux ou orthographiques, sans pour autant s’inscrire
dans l’erreur par rapport à la norme.
2. La Grammaire intériorisée :
c’est
la grammaire assimilée par un locuteur et qu’il emploie
systématiquement lorsqu’il produit un message oral ou écrit. Cette
grammaire lui permet aussi de décoder le sens dénoté ou connoté de tout
type de discours qu’il reçoit. Elle correspond à ce que Chomsky appelle
non pas « grammaire » mais « compétence du sujet parlant ».
3. La Grammaire descriptive :
Cette
grammaire s’intéresse à la description de la morphologie et de la
syntaxe d’une langue. La description répond à une démarche
d’identification, de catégorisation des unités de la langue ainsi que
du sens de leur mise en relation dans la phrase. Cette grammaire décrit
la structure de chaque énoncé et de l’aspect fonctionnel de chaque
élément dans son contexte global.
4. La Grammaire pédagogique :
Elle
est constituée de l’ensemble des règles enseignées à des apprenants en
situation d’apprentissage. Cette grammaire ne fait pas l’objet d’une
description par les linguistes mais par les pédagogues. Le rôle de
l’auteur d’une grammaire pédagogique est de fournir à l’élève un cadre
théorique et pratique de définitions, de schémas et d’exercices
accessibles, lui permettant de comprendre et de maîtriser le
fonctionnement de la langue en question.
5. La Grammaire d’apprentissage :
Il
s’agit du savoir grammatical théorique ou pratique, capitalisé, à un
stade quelconque de son apprentissage, par un apprenant. Du point de
vue pédagogique, on distingue deux pratiques grammaticales :
a - La Grammaire implicite (ou intuitive):
Selon le Dictionnaire de Didactique des Langues, cette grammaire « vise
à donner aux élèves la maîtrise d’un fonctionnement grammatical
(variations morphosyntaxiques, par exemple) », mais « ne recommande
l’explication d’aucune règle et élimine le métalangage, ne s’appuyant
que sur une manipulation plus ou moins systématique d’énoncés et de
formes. Il appartient donc à l’apprenant de déduire et de formuler la
règle d’emploi sous forme de déduction – conclusion, consécutivement à
l’analyse des énoncés. Cette approche ne préconise pas de faire de la
grammaire mais plutôt de pratiquer la grammaire.
b – La grammaire explicite (ou réflexive):
« Elle est fondée sur l’exposé et l’explication des règles par
l’enseignant, suivies d’applications conscientes par les élèves ». La
maîtrise de la langue découle par conséquent de la seule description
grammaticale de cette langue.
CONCLUSION :
En définitive, il s’agit dans tous les cas de ne pas en rester à
l’étude de la langue pour elle-même. Le fait de prendre en compte le
contexte situationnel du fait grammatical, permet à coup sûr de donner
à l’apprenant le pouvoir non seulement sur la langue, mais sur les
différentes situations où elle s’emploie. Il faudrait privilégier un
mode de travail de type appropriatif, basé sur la grammaire de texte.
Les activités d’identification et de réemploi permettront à l’élève de
dépasser la conception limitée de la syntaxe, pour aboutir au
renforcement de sa socialisation et de sa compétence de communication.
Mieux vaut savoir communiquer sans connaître les règles de grammaire
d’une langue que de maîtriser la grammaire sans pour autant savoir
communiquer.
.
Bibliographie :1. Dictionnaire de Didactique des Langues.
2. Situations d’Ecrit, Sophie MOIRAND.
3. Travaux de séminaires dans le Secondaire dirigés par M. Boubekeur MADANI.
A méditer Site Khouasweb